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mestiques qui se tenaient rangés en bon ordre et en si grand nombre que j’en fus étonné, me reçurent avec une animation et des démonstrations de joie qui me firent voir, du premier coup, que leur maître vivait à l’ancienne mode. Y a-t-il un homme, à notre époque, qui sache inspirer à ses domestiques le moindre sentiment d’intérêt ou de respect pour lui et pour toute sa race ? Il ne vient à l’esprit de personne de penser que ces gens-là aient, en dehors des services que nous exigeons d’eux, une existence propre et indépendante de la nôtre. En dehors de leur service, à peine savons-nous seulement s’ils existent. De même que la Providence a fait les étoiles pour la terre, elle a fait les domestiques pour les gentlemen ; et comme les étoiles et les domestiques n’apparaissent que quand nous en avons besoin, je suppose qu’ils n’existent réellement que dans ces heureux moments et que, dans l’intervalle, leur existence est pour ainsi dire suspendue.

Pour en revenir à mon arrivée, car je m’aperçois que j’ai le défaut très-grave d’avoir un amour trop prononcé pour les spéculations et les réflexions abstraites, je fus introduit en grande cérémonie dans une immense salle toute tapissée d’énormes bois de cerfs et d’armures rouillées. De là on me fit passer dans une autre pièce dont le plafond était supporté par des colonnes de pierre, et où il n’y avait pas d’autre ornement que les armes de la famille, puis dans une antichambre toute tendue en tapisserie représentant les amours du roi Salomon et de la reine de Saba ; enfin j’arrivai à l’appartement honoré de la présence auguste de lord Glenmorris. Ce personnage était assis sur un sopha en compagnie de trois épagneuls et d’un chien couchant. Il se leva à la hâte lorsque je fus annoncé ; puis, réprimant l’ardeur de son premier mouvement, qui allait le porter peut-être à une chaleur d’accueil mal séante, il me tendit la main d’un air de bienveillante protection, et en pressant la mienne, il m’examina de la tête aux pieds pour voir jusqu’à quel point ma physionomie justifiait cette condescendance.

Quand il se fut donné toute satisfaction à cet égard, il s’enquit de l’état de mon appétit. Il sourit avec bienveil-