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condamner et détester en moi, est bien plutôt l’œuvre des circonstances et du hasard qu’un vice de mes sentiments. Je suis une beauté de naissance, j’ai été élevée en beauté, c’est à cette réputation de beauté que j’ai dû mon rang et mon pouvoir. Et c’est à ces avantages de ma figure que j’ai dû la ruine de mon âme ; vous avez vu ce que j’emprunte à l’art aujourd’hui ; je me fais honte à mes yeux en écrivant cette phrase, mais n’importe puisque c’est depuis ce moment que je vous ai fait honte à vous. Vous ne vous êtes pas dit, pour mon excuse, que j’avais vécu dans l’entraînement des plaisirs pendant toute ma jeunesse, et qu’aujourd’hui arrivée à l’âge mûr, je n’y puis pas renoncer. J’ai longtemps été reine par mes charmes, et toutes les ressources de l’art me semblent bonnes aujourd’hui plutôt que de renoncer à mon empire. Mais en entretenant ma vanité, je n’ai pas eu le courage d’étouffer la voix de mon cœur. Pour une femme, aimer est si naturel, qu’il n’y a pas une femme qui résiste au besoin d’aimer : chez moi l’amour a toujours été un sentiment et non une passion.

« Le sentiment et l’amour-propre ont été mes séducteurs. Je disais tout à l’heure que j’avais dû mes erreurs aux circonstances et non à ma nature. Vous me direz qu’en accusant l’amour et l’amour-propre d’avoir séduit mon âme, je me contredis ; vous vous trompez, j’avais naturellement en moi l’amour et la vanité, c’est le monde où j’ai vécu, ce sont les événements auxquels j’ai assisté, qui ont donné à ces deux courants intérieurs une direction mauvaise et dangereuse. J’étais faite pour aimer ; à l’homme de mon choix, j’aurais tout sacrifié ; je fus mariée à un homme que je détestais, et je ne connus le fond de mon cœur que lorsqu’il était trop tard.

« Mais passons ; vous allez quitter la France ; nous ne nous reverrons peut-être jamais, jamais ! Vous pourrez revenir à Paris, mais je ne serai plus ; n’importe. Je resterai la même jusqu’au bout, je mourrai en reine.

« Comme dernier témoignage des sentiments que j’ai eus pour vous, je vous envoie avec cette lettre une chaîne et une bague. Je vous demande comme dernière faveur