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c’est au bout du compte que ce que nous avons maintenant ? juste de quoi ne pas mourir de faim. Mais il est vrai qu’avec du bonheur, cela peut nous donner de l’aisance.

— Et pourquoi n’auriez-vous pas de bonheur ? On a vu faire des fortunes avec moins pour commencer, dit la femme.

— C’est vrai, Marguerite, répondit le joueur, et si je n’ai pas de bonheur après tout, cela ne fera qu’avancer le moment fatal d’un mois ou deux ; mieux vaut un prompt arrêt qu’une longue torture !

— Est-ce que vous ne pensez pas qu’il vaudrait mieux essayer de quelque nouveau jeu où vous auriez plus d’expérience, ou bien encore où les chances seraient plus grandes qu’à rouge et noire ? demanda la femme. Est-ce que vous ne pourriez soutirer quelque chose à ce grand bel homme qui est si riche, à ce que dit Thornton ?

— Ah ! si cela se pouvait, murmura Tyrrel avec un air de convoitise. Thornton m’a dit qu’il lui avait gagné des mille et des cents et que cela n’était qu’une misère pour lui en comparaison de son revenu. Thornton est un bon enfant sans souci, et il me laisserait peut-être prendre ma part du butin, mais alors, quel jeu pourrais-je lui proposer ? »

À ce moment je dépassai ce couple bien assorti et je perdis le reste de leur conversation. « Bien, pensai-je, si ce précieux personnage doit mourir de faim, ce sera bien fait ! pour deux raisons, d’abord à cause de ses mauvais desseins sur l’étranger, ensuite et surtout à cause de l’estime qu’il a pour Thornton. Si ce n’était qu’un fripon, on pourrait avoir pitié de lui, mais être à la fois un fripon et un sot, c’est une combinaison du diable, pour laquelle l’opinion n’admet pas le purgatoire, cela va tout droit à la damnation. »

J’arrivai bientôt à la maison de M. Thornton. La même vieille femme, enfoncée dans la lecture du même roman de Crébillon, me fit la même réponse que précédemment. Je me mis à monter l’obscur et sale escalier qui semblait là pour faire voir que la route du vice n’est pas aussi agréable qu’on le suppose généralement. Je frappai à la porte, et ne recevant pas de réponse, j’entrai. La première chose que je vis, ce fut la grosse redingote brune de Warburton ; ce personnage me tournait le dos. Il parlait avec énergie à