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pouvait avoir changé ses vues sur moi ? Si les renseignements de Vincent étaient exacts, il était naturel de supposer qu’il comptait mettre à profit ses relations avec moi, par conséquent son intérêt devait le pousser à les continuer et à les rendre plus intimes.

De deux choses l’une, ou bien il n’avait plus le même besoin de faire une dupe, ou bien il ne croyait plus pouvoir me duper. Pourtant ni l’une ni l’autre de ces suppositions n’était plausible. Il n’était pas probable qu’il fût devenu honnête, ou riche tout d’un coup ; d’autre part je ne lui avais donné aucune raison de me croire plus méfiant que ceux qu’il avait déjà trompés. Au contraire j’avais eu l’air de mettre à me lier avec lui une ardeur qui ne prouvait pas beaucoup en faveur de ma connaissance du monde. Plus j’y aurais pensé et plus j’aurais été embarrassé, s’il ne s’était fait dans mon esprit un rapprochement entre son mouvement de retraite actuel, et ses relations avec l’étranger qu’il appelait Warburton. Il est vrai de dire que je n’avais aucune raison pour appuyer cette supposition ; c’était une conjecture sans fondement apparent, et certes fort invraisemblable ; pourtant je ne sais par quelle sorte d’association d’idées échappant à l’analyse, je ne pouvais m’en débarrasser.

« Je le saurai bientôt, » me dis-je, et m’enveloppant dans mon manteau, car il faisait un froid terrible, je me dirigeai vers le logement de Thornton. Je ne pouvais m’expliquer à moi-même l’intérêt profond que je prenais à ce Warburton (ainsi qu’on l’appelait) et à tout ce qui semblait devoir me faire découvrir sur son compte quelque chose de plus précis. Je revoyais son attitude dans la maison de jeu ; je songeais à sa conversation avec une femme dans le Jardin des Plantes, et je voyais avec étonnement un homme d’une apparence aussi aristocratique lié avec Thornton, et toujours surpris dans des situations et dans une société aussi peu honorables. C’était plus qu’il n’en fallait pour occuper fortement mon esprit ; certains souvenirs confus, et je ne sais quelle association d’idées m’assiégeaient en sa présence, et j’étais poursuivi de son souvenir lorsque je ne le voyais pas.