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très-riche ; sa mère avait du mérite et encore plus d’ambition. Elle faisait de sa maison l’une des plus attrayantes de Londres. Se montrant rarement dans les grandes réunions, elle n’en était que plus vivement recherchée dans ces soirées choisies où l’on ne reçoit que l’élite du beau monde. Sa fortune, quoique considérable, n’était qu’un élément accessoire parmi les charmes qu’offrait sa maison. On n’y voyait ni ostentation inutile, ni fierté de mauvais goût, ni bassesse, ni cette condescendance et ce patronage que quelques-uns ont toujours au service des petites gens. Enfin les journaux du dimanche eux-mêmes, n’avaient pas trouvé de mal à en dire, et les femmes de cadets, si difficiles à contenter, en étaient réduites à ricaner en silence.

« C’est une excellente liaison, me dit ma mère, quand je lui parlai de mes relations d’amitié avec Réginald Glanville, elle vous sera plus utile que d’autres qui pourraient paraître d’une plus grande importance. Rappelez-vous, mon cher, que dans tous les amis que vous faites à présent, vous devez considérer les avantages que vous en pourrez retirer plus tard ; c’est là ce que nous appelons connaître le monde, et c’est pour acquérir la connaissance du monde que vous avez été envoyé dans une école publique. »

Je pense, néanmoins, à ma honte, que, malgré les instructions de ma mère, il se mêlait très-peu de considérations intéressées à mon amitié pour Réginald Glanville. Je l’aimais avec une chaleur d’attachement qui m’a depuis surpris moi-même.

C’était un garçon d’un caractère singulier. Il avait l’habitude, dans les belles journées d’été, alors que tous les autres jouaient, de se promener sur le bord de la rivière, seul, sans autre compagnie que ses pensées qui avaient déjà, quoiqu’il ne fût encore qu’un enfant, une teinte de mélancolie sombre et passionnée. L’extrême réserve de ses manières le faisait soupçonner de froideur ou d’orgueil, et cette réputation lui avait attiré l’antipathie de tout le monde. Pourtant personne n’avait plus de franchise et de chaleur au service de ses amitiés, plus d’attention à obliger les autres et plus d’indifférence pour ses propres intérêts. Une absence complète d’égoïsme et une bienveillance