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Le baron fit un signe d’assentiment.

« Permettez-moi d’ajouter, continua Peschiera, car cela est dû à l’honneur d’une dame qui me touche de près, que, comme je l’ai su depuis, certains rapports erronés faits par M. Leslie avaient pu seuls décider cette dame à prêter son concours à un projet qu’autrement elle eût aussi fortement condamné que je le condamne maintenant moi-même. »

Il y avait dans toute la personne du comte, pendant qu’il parlait ainsi, cette dignité qui, soit naturelle, soit artificielle, subjugue pour le moment le jugement humain, une dignité si bien soutenue par les singuliers avantages de sa magnifique stature, sa belle figure, son air de patricien, que le duc, poussé par son bon cœur, tendit la main à son perfide cousin, oubliant la sagesse machiavélique qui lui eût dit qu’il était peu probable qu’un libertin endurci tel que Peschiera fût amené par des motifs élevés soit à une franche confession, soit à un mâle repentir. Le comte prit la main qui lui était tendue et baissa la tête, peut-être pour dissimuler un sourire qui eût trahi le secret de son âme. Randal demeura muet et pâle comme la mort. Sa langue s’attachait à son palais. Il sentait que tous ceux qui étaient présents s’éloignaient de lui avec dégoût ; faisant enfin un violent effort, il murmura en phrases entrecoupées :

« Une accusation si subite a le droit de me surprendre… Mais… mais… qui peut y ajouter foi ? La loi et le sens commun s’accordent à supposer toujours qu’un acte criminel a un motif quelconque. Quel motif pouvais-je avoir en ce cas ? Moi… moi qui prétendais à la main de la fille du duc, je l’aurais trahie, mais c’est absurde ! Duc, j’en appelle à votre connaissance de l’espèce humaine… Qui a jamais agi contre son propre intérêt et… son propre cœur ? » Cet appel, si faible qu’il fût, ne demeura pas sans effet sur le philosophe. « Cela est vrai, dit-il en laissant retomber la main de son parent ; je ne vois aucun motif.

— Le baron Lévy, dit Harley, pourra peut-être nous éclairer là-dessus. Connaissez-vous, monsieur, quelque motif d’intérêt personnel qui ait pu décider M. Leslie à concourir aux projets du comte ? »

Lévy hésita. Le comte reprit la parole. « Pardieu, dit-il de sa voix claire et résolue, je n’entends pas voir jeter du doute sur mes assertions par ceux-là mêmes qui en connaissent le mieux la vérité ; et c’est à vous que j’en appelle, à vous, baron Lévy. N’étais-je pas convenu, en cas de mariage avec la fille du duc, de donner à ma sœur une somme à laquelle elle prétendait avoir des droits, et qui devait passer de ses mains dans les nôtres ?

— C’est vrai, dit le baron.

— Et M. Leslie devait-il ou non recevoir une partie de cette somme ? »

Lévy garda de nouveau le silence.

« Parlez, monsieur ! dit le comte fronçant le sourcil.

— Le fait est, dit le baron, que M. Leslie était désireux de racheter certaines terres ayant appartenu à sa famille et que le mariage