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rapprochant le père et le fils, Randal ne tarda pas à se rendre chez son jeune parent. On pourrait supposer que, certain maintenant d’obtenir la fortune considérable que devait lui apparier Violante, Randal était devenu indifférent au succès de son plan sur l’échiquier d’Hazeldean. Ce serait mal juger l’ambitieux jeune homme. D’abord, ni Violante ne lui appartenait encore, ni son père n’était encore rentré en possession des domaines qui composaient sa dot ; en second lieu, Randal, comme Iago, se plaisait à la scélératesse, à cause du génie qu’elle développait en lui. Le seul plaisir que se permît le sobre jeune homme était celui qui se rencontre dans l’activité intellectuelle.

« Mais, mon cher garçon, dit Randal, lorsqu’il eut appris de Frank ce qui s’était passé à bord du vaisseau entre celui-ci et Béatrix ; je ne puis croire cela. Elle ne vous a jamais aimé ! Dans quel but nous aurait-elle trompés tous deux ? Je soupçonne cette déclaration de n’être qu’un raffinement héroïque de générosité. Après l’échec subi par son frère et sa ruine probable, elle aura compris qu’elle n’était plus pour vous un parti convenable. Et puis la colère du squire. Oui, je vois ce que c’est. Noble et malheureuse femme, cette conduite est bien d’elle ! »

Frank secoua la tête. « Il y a des moments, dit-il, avec cette sagesse qu’éveille chez un jeune homme la première grande douleur, il y a des moments où une femme ne peut pas feindre, où sa voix a des accents auxquels un homme ne saurait se méprendre. Elle ne m’aime pas et elle ne m’a jamais aimé ; je vois que son cœur était ailleurs ; n’importe, tout est maintenant fini. Ma douleur est intense, elle me ronge le cœur comme une sorte de faim et je me sens aussi brisé que si j’étais subitement devenu vieux, et qu’il n’y eût plus rien dans le monde qui valût la peine de vivre. Oui, j’avoue tout cela.

— Pauvre cher ami ! si vous vouliez croire…

— Je ne veux rien croire, si ce n’est que j’ai été un sot. Je ne crois pas que je retombe jamais dans de pareilles folies. Mais je suis homme. Je triompherai de mon chagrin ; je me mépriserais moi-même s’il en était autrement. Et maintenant, parlons de mon père, a-t-il quitté Londres ?

— Il est parti hier soir par la malle-poste. Vous pouvez lui écrire pour lui dire que vous avez renoncé à la marquise, et tout sera apaisé entre vous.

— Que j’ai renoncé à elle ! fi donc, Randal ! me croyez-vous capable d’un pareil mensonge ? C’est elle qui a renoncé à moi ; je ne puis m’attribuer là dedans aucun mérite.

— Oh ! que si. Je pourrais faire envisager cela au squire d’une façon avantageuse pour vous ; ah ! s’il ne s’agissait que de la marquise ! mais hélas ! ce maudit post-obit ! Comment Lévy a-t-il pu vous trahir ainsi ? Ne vous fiez plus jamais aux usuriers ; ils ne peuvent résister à la tentation d’un gain présent. Ils achètent d’abord le fils, puis le revendent ensuite au père. Et le squire a des idées si étranges sur ces sortes de choses.

— Il a raison de les avoir. Tenez lisez seulement cette lettre de