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— Et ridicule, reprit Harley. Je voudrais voir la figure qu’il fera quand on le débarquera en Norwége. »

Harley se dirigea alors vers le centre du vaisseau, où se trouvaient, presque cachés par les marins, Béatrix, Frank Hazeldean, qui l’avait reçue à son arrivée à bord, et Léonard qui un peu en arrière d’eux observait en silence ce qui se passait autour de lui. Béatrix paraissait faire peu d’attention à Frank. Ses beaux yeux étaient levés vers le ciel étoilé et ses lèvres s’agitaient comme si elle eût été en prière ; cependant son jeune amant lui parlait bas et vite, avec émotion.

« Non, non, disait-il, ne croyez pas que nous vous ayons soupçonnée un seul instant, Béatrix, disait-il ; je répondrais de votre honneur sur ma tête. Oh ! pourquoi ne voulez-vous pas me regarder, me parler ?

— Accordez-moi encore un moment, » dit Béatrix.

Elle s’approcha lentement de Léonard, lui toucha le bras de sa main tremblante et l’attira à l’écart. Frank fit un pas comme pour les suivre, puis s’arrêta court et les regarda de loin d’un air triste et surpris. Le sourire d’Harley avait disparu, lui aussi regardait d’un œil attentif.

Béatrix ne dit que quelques mots ; Léonard ne prononça qu’une ou deux phrases ; puis la marquise tendit la main au jeune poète, qui s’inclina et la baisa silencieusement.

Elle demeura un instant immobile, et Harley put apercevoir la rougeur qui se répandait sur son visage. Cette rougeur avait déjà disparu lorsque Béatrix revint vers Frank. Lord L’Estrange voulut se retirer ; elle lui fit signe de rester.

« Milord, dit-elle avec fermeté, je ne saurais vous accuser de rigueur envers mon coupable et malheureux frère. Son crime méritait peut-être un châtiment plus sévère encore que celui que vous lui infligez avec tant de dédain. Mais quelle que soit la peine qu’il lui faille endurer, aujourd’hui le mépris, plus tard la pauvreté, je sens que sa sœur doit être près de lui pour la partager. S’il est coupable, je ne suis pas non plus innocente, et bien qu’il ait fait naufrage, il ne me reste sur la sombre mer de la vie que lui à qui je puisse m’attacher. Chut, milord ! Je ne quitterai pas ce vaisseau ; je vous conjure seulement d’ordonner à vos hommes de respecter mon frère, puisqu’une femme sera près de lui.

— Mais il n’en peut être ainsi, marquise, et…

— Béatrix, Béatrix, et moi ! et nos fiançailles ? Vous m’oubliez donc ? cria Frank d’un ton de douloureux reproche.

— Non, mon jeune et noble ami. Je me souviendrai toujours de vous dans mes prières. Mais écoutez-moi : j’ai été trompée, entraînée par les autres, mais aussi et plus encore par mon cœur aveugle et passionné. Oui j’ai été entraînée à tromper à mon tour. Je rougis de honte quand je songe que j’aurais pu attirer sur vous la colère de votre famille… vous attacher à ma fortune en ruines, à mon….

— À votre cœur aimant et généreux, et c’est tout ce que je vou-