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tant de torts qu’il se l’imagine, rejetteriez-vous encore le rang, la fortune et la main de Giulio Franzini ?

— Oh ! oui, oui ! cette main fût-elle celle d’un roi !

— Répondez-moi donc, franchement, comme à votre parente, à celle qui descend de la même lignée que vous, répondez-moi : Est-ce donc que vous en aimez un autre ?

— Je n’en sais rien ; non, ce n’est pas de l’amour ; ce n’était qu’une idée romanesque. C’est d’ailleurs une chose impossible. Ne me questionnez pas davantage, je ne puis vous répondre. » Et ces mots étaient entrecoupés de larmes.

Le visage de Béatrix devint dur et inflexible. Elle baissa de nouveau son voile et sa main quitta le cordon, mais le cocher, qui avait senti le mouvement, s’arrêta.

« Marchez, dit Béatrix ; allez où l’on vous a dit. »

Les deux femmes gardèrent alors un long silence, Violante se remettant avec difficulté de son émotion, Béatrix respirant péniblement et les bras croisés sur sa poitrine.

Pendant ce temps la voiture était entrée à Londres, elle avait passé le quartier où était située la maison de Mme di Negra ; elle traversa un pont, une large rue, puis s’engagea dans une suite de petites ruelles bordées de hautes et tristes maisons. Elle roulait, roulait toujours, jusqu’à ce qu’enfin Violante s’effraya soudain.

« Vous demeurez donc bien loin ? dit-elle en relevant le store et en examinant avec terreur l’ignoble faubourg. On va s’apercevoir de mon absence. On ! retournons, retournons, je vous en supplie !

— Nous voici presque arrivées. Le cocher a pris ce chemin pour éviter les rues trop fréquentées, dans lesquelles nous eussions pu être vues ensemble, et rencontrer peut-être mon frère lui-même. Écoutez-moi et parlons de… de celui auquel vous associez à juste titre l’idée d’une fantaisie romanesque. Impossible, dites-vous ; oui, oui, c’est impossible ! »

Violante mit ses mains devant ses yeux et baissa la tête :

« Pourquoi êtes-vous si cruelle ? fit-elle. Ce n’est pas là ce que vous m’aviez promis. Comment pouvez-vous servir mon père, le rendre à son pays ? car c’est cela dont vous m’aviez parlé.

— Si vous consentez à un sacrifice, je tiendrai cette promesse. Nous voici arrivées. »

La voiture s’arrêta devant une maison sombre, haute et séparée des autres par un mur élevé qui paraissait enclore une cour, et située dans une rue étroite au bout de laquelle coulait la Tamise. En cet endroit la rivière était encombrée de sombres vaisseaux, de chaloupes, de bateaux immobiles et sans vie sous ce ciel d’hiver. Le cocher descendit et sonna. Deux brunes figures italiennes se présentèrent sur le seuil.

Béatrix descendit légèrement et donna la main à Violante.

« Ici nous serons tranquilles, dit-elle, et quelques instants suffiront à décider de votre sort. »

Lorsque la porte se fut refermée sur Violante, chez qui le soupçon