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Mais lorsque Lévy fut parti et que cet homme au masque de fer se retrouva seul, il éprouva de plus en plus le sentiment d’une perte cruelle. Le doux et aimant visage de Nora lui semblait se détacher de la sombre muraille ; son caractère confiant et docile, sa générosité, sa promptitude au sacrifice lui revinrent en mémoire et combattirent les accusations de Lévy. L’amour d’Egerton, un instant suspendu par le souci des affaires, mais qui malgré tout était la première passion de son âme, se mêla de nouveau à toutes ses pensées, avec un charme plein de douceur. Il échappa aux recors à la faveur de la nuit. Il arriva à Londres ; il y chercha partout sa jeune épouse. Lady Jane Horton était au lit, mourante, incapable de répondre à sa lettre, incapable même de la lire. Audley envoya un messager secret à Lansmere, afin de savoir si Nora était retournée chez ses parents. Elle n’y était pas ; les Avenel la croyaient encore chez lady Jane Horton.

Audley fut alors sérieusement alarmé, et Lévy s’arrangea de façon à ce qu’au milieu de ces inquiétudes il fût arrêté par ses créanciers. Mais il ne resta que peu de jours en prison. Avant que le monde connût l’événement, les dettes étaient payées et Lévy désappointé ; Audley était libre. Lord L’Estrange avait appris du domestique de son ami ce que celui-ci eût donné tout au monde pour lui cacher, et le généreux jeune homme, qui, outre la pension magnifique qu’il recevait du comte, devait, lors de sa majorité, entrer en possession d’une fortune personnelle considérable, s’était hâté d’emprunter l’argent nécessaire et de satisfaire les créanciers d’Audley. L’œuvre était accomplie avant qu’Audley en eût connaissance ; il ne put donc s’y opposer, mais une émotion nouvelle, non moins poignante peut-être que celle que lui avait causée la perte de Nora, tortura l’homme qui jadis avait souri en écoutant l’avertissement de la science, et il éprouva fréquemment cette même sensation au cœur dont il avait parlé à Lévy.

Harley lui aussi cherchait Nora, ne songeait qu’à elle, ne parlait que d’elle ; il semblait triste et fatigué ; la fleur de sa jeunesse était flétrie. Audley pouvait-il lui dire : « Celle que vous cherchez appartient à un autre ; et celui qui vous a trahi c’est votre ami ! » Audley le pouvait-il ? Il ne l’osa pas. Lequel des deux souffrait davantage ?

Et ces deux amis de caractère si opposé étaient singulièrement attachés l’un à l’autre. Inséparables au collège, ils s’étaient de nouveau trouvés réunis dans le monde ; entre eux existait un trésor de confidences accumulées depuis l’enfance. Au milieu même de son chagrin et de son anxiété, Harley faisait encore des projets pour Egerton, et le remords, la reconnaissance, avaient changé l’affection d’Audley pour son ami en une sorte de culte, auquel se mêlait une pitié respectueuse qui brûlait de soulager, d’expier ; mais comment ? Oh ! comment ?

Les élections générales approchaient, et toujours point de nouvelles de Nora. Lévy cherchait silencieusement de son côté. Audley fut pressé de se porter candidat pour Lansmere, non-seulement par Harley, mais encore par les parents de celui-ci, par la comtesse surtout,