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Il était encore dans le square lorsqu’il rencontra Randal se dirigeant vers l’hôtel d’Egerton en compagnie d’un individu très-pimpant, avec de superbes moustaches noires et un air fort satisfait de lui-même. Randal et ce personnage échangèrent rapidement quelques mots à voix basse, puis le premier s’écria :

« Quoi, monsieur Hazeldean, vous avez été chez votre frère ! est-ce bien possible ?

— Vous m’avez conseillé d’y aller, et j’y suis allé. Je savais à peine ce que je faisais, mais je suis bien aise d’y avoir été. Au diable la politique et l’intérêt territorial ! Que me font maintenant toutes ces choses ?

— Vous aurez été battu chez Mme di Negra, dit Randal, tirant à part le squire.

— Ne me parlez jamais d’elle ! s’écria le squire en fureur. Et quant à cet ingrat… mais je ne veux pas me montrer très-dur envers lui… il aura de l’argent tant qu’il voudra pour vivre avec elle (à condition toutefois qu’il l’empêchera de venir chez moi). Oui, il en aura assez pour l’empêcher, lui, de spéculer sur ma mort et d’emprunter des post-obit sur le Casino… car il en viendra là… Non, cependant, j’espère que je lui fais tort en disant cela ; je me suis toujours montré trop bon père pour qu’il calcule l’époque de ma mort. Après tout, continua le squire commençant à faiblir, comme dit Audley, le mariage n’est pas fait ; rien d’étonnant à ce qu’il ait été la dupe de cette femme, il est jeune et il a un cœur ardent. Sois tranquille, mon garçon, je n’oublie pas avec quelle chaleur tu as toujours pris son parti ; avant de rien décider, je veux au moins me consulter avec sa pauvre mère. »

Randal mordit sa lèvre pâle et un nuage de mécontentement passa sur son visage.

« Vous avez raison, monsieur, dit-il doucement ; ne précipitez rien. Je pensais justement à vous et à notre pauvre cher Frank au moment même où je vous ai rencontré. Je me demandais si en révélant à Mme di Negra les embarras pécuniaires de Frank, nous ne l’amènerions pas à le refuser, et je me rendais chez M. Egerton pour lui demander là-dessus son opinion, en compagnie de ce monsieur.

— Ce monsieur ! Eh qu’a-t-il besoin de mettre le nez dans mes affaires de famille ? Qui diable est-il ?

— Ne m’interrogez pas ; permettez-moi d’agir. » Mais le squire continuait à regarder de travers le personnage à moustaches noires qui attendait patiemment à quelques pas en arrière, en rajustant le camélia qu’il portait à sa boutonnière.

« Il a l’air bien baroque. Est-ce encore un étranger ? demanda enfin le squire.

— Non, pas précisément. Cependant il connaît tous les embarras de Frank et…

— Quels embarras ! Les dettes qu’il a payées pour cette femme ! Comment s’est-il procuré l’argent ?

— Je n’en sais vraiment rien, et c’est pourquoi j’avais prié le ba-