Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/158

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Si je ne l’ai pas informé, comme je le désirais vivement, que je ne recevais qu’à titre de dépôt ce que m’avait alloué le gouvernement, si je ne lui ai pas expliqué ce qui lui avait paru blâmable dans ma conduite, la faute en est au secret qu’il a gardé sur le lieu de sa retraite. Je ne pus parvenir à la découvrir, mais je ne cessai de plaider sa cause et de demander son rappel. Ce n’est que cette année que j’ai réussi en partie. Son héritage et son rang lui seront rendus, mais à cette condition de donner à l’Autriche une garantie de sa loyauté. Cette garantie, le gouvernement l’a spécifiée ; c’est l’alliance de sa fille unique avec un homme en qui l’Autriche ait confiance. Une maison si considérable étant représentée par une femme, la noblesse italienne avait tout intérêt à vous voir vous allier à un parent, à un membre de cette même maison. Un seul, et le plus proche, se présentait. En un mot, Alphonse recouvrera tout ce qu’il a perdu le jour où sa fille accordera sa main à Giulio Peschiera, comte de Franzini. Ah ! fit tristement le comte, vous reculez devant cette idée, elle vous épouvante. Celui qu’on désigne à votre choix est indigne de vous en effet. À peine êtes-vous au printemps de la vie, tandis qu’il touche à son automne. La jeunesse aime la jeunesse ; aussi ne prétend-il pas à votre amour. Tout ce qu’il peut dire, c’est que l’amour n’est pas la seule joie du cœur ; n’est-ce pas aussi une joie que de sauver de la ruine un père bien-aimé, de rendre à un pays qui n’a d’autre richesse que ses souvenirs, un chef en qui il révère une lignée de héros ? Ce sont là les joies que je viens offrir à la fille d’Alphonse et de l’Italie. Vous gardez le silence ! Oh ! parlez, répondez, je vous en conjure ! »

Le comte s’était montré habile dans l’art de séduire et de persuader ; aucune femme n’eût pu être plus sensible à un semblable appel que ne l’était Violante. La fortune aussi l’avait favorisé dans le moment qu’il avait choisi. Violante venait de se voir enlever toute espérance au sujet d’Harley, et l’amour lui apparaissait comme à jamais effacé de sa vie. Dans le vide immense qui s’était fait autour d’elle, l’image de son père demeurait seule visible et debout ; et elle, qui depuis l’enfance avait si ardemment souhaité de servir ce père, et qui n’avait longtemps rêvé à Harley que comme à l’ami de Riccabocca, elle pouvait maintenant lui rendre tout ce qu’il regrettait ; il ne fallait pour cela que se sacrifier elle-même ; et le sacrifice de soi est une si grande tentation pour les âmes nobles ! Cependant, au milieu du trouble et de la confusion où elle était, l’idée d’un mariage avec un autre lui semblait si terrible et si révoltante, qu’elle ne pouvait se résoudre à l’admettre, puis un instinct de franchise et d’honneur l’avertissait, malgré son inexpérience, qu’il y avait quelque chose de coupable dans l’appel clandestin qui lui était fait.

Le comte la supplia de nouveau de parler, et elle répondit avec effort et d’un ton irrésolu :

« Si les choses sont telles que vous le dites, ce n’est pas à moi de vous répondre, c’est à mon père.

— Pardonnez-moi si je vous contredis, reprit Peschiera. Con-