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de juger si je suis réellement son ennemi. Je suis venu en Angleterre pour l’y chercher, afin de lui rendre ce que m’avait donné l’empereur ; j’y suis venu avec une seule pensée, celle de ramener Alphonse dans son pays, et de lui remettre l’héritage qu’on m’avait contraint d’accepter.

— Mon père ! mon bien-aimé père ! Son grand cœur ne sera donc plus à l’étroit. Oh ! c’est là une noble inimitié, une véritable vengeance ! Je la comprends, signor, et mon père la comprendra comme moi, n’en doutez pas, car c’est ainsi qu’il se fût vengé de vous. Vous l’avez vu ?

— Non, pas encore. J’ai voulu vous voir auparavant ; car vous êtes en réalité l’arbitre de ses destinées aussi bien que des miennes.

— Moi, signor comte ! moi l’arbitre des destinées de mon père ? Est-ce bien possible !

— Que cette innocente joie a de charmes ! mais ne vous y abandonnez point trop tôt, reprit Pescbiera avec un regard de compatissante admiration, et d’un ton plus paternel encore. Peut-être est-ce un sacrifice que j’ai à vous demander, un sacrifice trop pénible pour que vous l’acceptiez. Ne m’interrompez pas ; écoutez-moi, et vous comprendrez pourquoi je ne pouvais parler à votre père avant d’avoir eu un entretien avec vous, et comment d’un mot vous pouvez me bannir pour jamais de sa présence. Vous n’ignorez pas, sans doute, que votre père était l’un des chefs du parti qui tenta, il y a quelques années, d’affranchir l’Italie du joug autrichien. J’étais moi-même, au début, partisan de ce mouvement, mais je découvris bientôt que plusieurs de ses meneurs les plus actifs avaient joint à une entreprise patriotique des complots d’une nature coupable, et que la conspiration était sur le point d’être trahie par une partie des conjurés. J’aurais voulu me consulter avec votre père, mais il était trop loin pour cela. Je sus bientôt qu’il était condamné à mort. Il n’y avait pas un instant à perdre. Je pris une résolution hardie, qui m’exposait à ses soupçons et à la colère de mes concitoyens ; mais mon premier désir était de le sauver, lui, mon plus ancien ami, et d’épargner à mon pays un massacre inutile. Je me retirai du complot ; je m’adressai au chef du gouvernement autrichien en Italie, et je stipulai qu’Alphonse aurait la vie sauve, ainsi que les chefs les plus illustres, qui autrement eussent tous été mis à mort. J’obtins d’être chargé de m’assurer de la personne de mon parent, afin de pouvoir le mettre en sûreté et le conduire dans un pays étranger, sous prétexte d’un exil qui eût cessé lorsque le danger aurait disparu. Mais Alphonse crut malheureusement que je voulais sa perte ; il échappa par la fuite aux poursuites de mon amitié. Les soldats qui m’accompagnaient furent attaqués par un Anglais ; votre père quitta l’Italie et cacha soigneusement l’endroit de sa retraite ; les circonstances de sa fuite vinrent s’opposer à mes efforts pour obtenir sa grâce. Le gouvernement m’octroya la moitié de ses revenus, gardant l’autre moitié pour en disposer selon son bon plaisir. J’acceptai ce qui m’était offert, dans le but de sauver ses biens de la confiscation.