Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/97

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de ce vif élan du cœur qui nous est donné à tous ; et quand il dit : « Aimez-vous les uns les autres. — Portez les fardeaux les uns des autres, » il fait de la plus douce de nos émotions, la plus sacrée de ses lois. Le pharisien demande à Notre-Seigneur : « Qui est mon prochain ? » Notre-Seigneur répond par la parabole du bon samaritain : « Portez donc les fardeaux les uns des autres et ainsi vous accomplirez les préceptes du Christ. » Ne croyez pas, ô mes frères, que ceci s’applique seulement aux aumônes ; à ces secours donnés aux malheureux et que l’on appelle charité ; à l’obligation imposée à tous de donner à un frère dans le besoin un peu de notre superflu. Non. J’en appelle aux plus pauvres d’entre vous, les plus cruels fardeaux sont-ils ceux du corps ? Un mot affectueux, une pensée tendre n’ont-ils pas souvent bien plus allégé vos cœurs que le pain donné comme à regret, et que la charité qui vous humilie de sa hauteur ? La sympathie est une aumône que nous pouvons tous faire, et la sympathie est la richesse du Christ. On dit que les riches doivent être charitables pour les pauvres et l’on ordonne aux pauvres d’être respectueux envers leurs supérieurs. Fort bien : je ne dis pas le contraire. Mais je dis aussi aux pauvres : À votre tour soyez charitables pour les riches ; et je dis aux riches : À votre tour soyez respectueux envers les pauvres.

« Portez les fardeaux les uns les autres. » Toi, pauvre, n’envie pas à ton frère ses biens temporels. Crois qu’il a aussi ses chagrins, ses inquiétudes, et que, pour être plus délicatement nourri il n’en est pas moins sensible à la douleur. N’a-t-il pas aussi ses tentations, puisque Notre-Seigneur s’est écrié : « Combien il sera difficile à un riche d’entrer dans le royaume des deux. » Et que sont les tentations sinon des épreuves ? Que sont des épreuves sinon des périls et des chagrins ? Ne vous croyez pas dispensés de la charité à l’égard de l’homme riche quand vous recevriez la subsistance de ses mains. Un écrivain païen souvent cité par les premiers prédicateurs de l’Évangile, a dit avec vérité : « Partout où il y a de la place pour un homme, il y a de la place pour un bienfait. »

« J’interroge ici ceux d’entre vous qui sont riches, mes frères : lorsque vous sortez pour aller visiter vos granges et vos greniers, vos jardins et vos vergers, si tout à coup au milieu du fol orgueil de votre cœur, vous voyez le laboureur froncer le sourcil, si vous vous sentez l’objet de la haine au milieu de votre abondance, si vous sentez que vos moindres fautes vous sont reprochées avec une grossière malice, et que vos bienfaits les plus sincères sont reçus avec une envieuse ingratitude, je vous le demande, toutes les jouissances que vous trouvez dans ces possessions mondaines ne s’évanouissent-elles pas de votre cœur ? Ne sentez-vous pas enfin tous les trésors de satisfaction que le pauvre est capable de vous donner ? Toutes ces richesses de Mammon passent sans retour. Mais il y a dans le sourire de celui à qui nous avons été utiles quelque chose que nous emportons avec nous dans les deux. Si donc vous voulez porter les fardeaux les uns des autres, il faut que les pauvres aient pitié des erreurs, et compassion des sou-