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Randal était étourdi, brisé, rompu, et il se passa quelques moments avant qu’il s’inquiétât de ses vêtements. Quand il l’eut fait, son spleen s’accrut considérablement. Il était assez jeune pour reculer à l’idée de se présenter devant le squire qu’il ne connaissait pas, et devant le dandy Frank sous un tel accoutrement. Il résolut donc de s’en retourner sans accomplir le but de son voyage. Voyant devant lui un sentier aboutissant à une porte qu’il supposait devoir le conduire plus directement à la grande route que le chemin par lequel il était venu, il le prit sans hésiter.


CHAPITRE IX.

Le squire fut de mauvaise humeur au déjeuner. Il avait trop de sang anglais dans les veines pour supporter patiemment une insulte, et il considérait comme une insulte personnelle l’outrage fait au présent dont il venait de gratifier la paroisse. Son cœur était blessé aussi bien que son orgueil. Il y avait dans cette action tant d’ingratitude, et cela au moment où il s’était donné tant de peine, non-seulement pour le rétablissement des ceps, mais encore pour leur embellissement ! Quoi qu’il en soit, la mauvaise humeur du squire n’était pas chose assez rare pour attirer l’attention ; Riccabocca et mistress Hazeldean sentirent que l’hôte était refrogné et le mari hargneux ; mais l’un était trop discret, l’autre trop sensée pour réveiller la douleur quelle qu’elle fût, et immédiatement après le déjeuner, le squire se retira dans son cabinet et n’alla pas à l’office du matin.

M. Forster dans sa Vie d’Olivier Goldsmith, a soin de nous toucher par la manière dont il excuse son héros de n’être pas entré dans les ordres : « Il ne s’en trouvait pas digne, » dit-il. Ton vicaire de Wakefield, pauvre Goldsmith, t’a remplacé, et le docteur Primrose sera plus que digne du monde, tant que les craintes de miss Jemima ne seront pas réalisées. Le squire avait des scrupules bien moins raisonnables que ceux de Goldsmith. Il y avait certains jours où il se trouvait indigne, je ne dis point d’entrer dans les ordres, mais même de se joindre aux fidèles ; des jours où, il disait avec sa brusque franchise : « je n’irai point prendre place dans le banc de famille. Non, je n’irai pas chanter des répons hypocrites dans le paroissien de ma pauvre grand’mère. » Ainsi le squire et son mauvais génie restèrent tous deux à la maison. Mais le mauvais génie fut chassé avant la fin du jour ; et quand la cloche sonna pour le service du soir, il est probable que le squire s’était raisonné et que le calme était rentré dans son esprit, car on le vit sortir du château, bras dessus bras dessous avec sa femme, à la tête de sa maison. L’office de l’après-