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pas, ajouta la veuve avec tout l’orgueil des paysans, que j’aie besoin de leur argent : seulement il est dur de se trouver en face de son père et de sa mère aussi mal à l’aise que devant des étrangers.

Le curé. Il faut les excuser. M. Avenel, votre père, a bien changé depuis le triste événement qui… Mais vous pleurez, mistress Fairfield : pardonnez-moi si je renouvelle votre douleur. Votre mère est un peu fière ; mais vous l’êtes aussi, à votre manière.

La veuve. Moi fière ! Dieu m’est témoin que je n’ai pas un brin d’orgueil, et voilà pourquoi ils m’ont toujours méprisée.

Le curé. Vos parents doivent être à leur aise. Je m’adresserai à eux dans un an ou deux pour Lenny ; car ils m’ont promis de pourvoir à ses besoins (comme c’est leur devoir) quand il serait plus grand.

La veuve (les yeux étincelants). J’espère, monsieur, que vous n’en ferez rien ; car je ne voudrais pas que Lenny fût le débiteur de ceux qui ne lui ont jamais adressé une seule bonne parole depuis qu’il est au monde. »

Le curé sourit et se mit à hocher la tête avec gravité en voyant l’empressement de la pauvre mistress Fairfield à se contredire si vite, elle qui prétendait n’avoir pas d’orgueil ; mais il comprit que ce n’était pas le moment d’essayer de calmer la plus implacable des rancunes, c’est-à-dire celle qu’on nourrit contre ses proches parents. Il coupa court à ce sujet de conversation et dit : « C’est bon, nous avons le temps de penser à l’avenir de Lenny ; mais nous oublions les faneurs ; venez donc ! »

La veuve ouvrit la porte de derrière qui conduisait aux champs à travers un petit verger rempli de pommiers.

Le curé. Vous avez là un endroit agréable et je vois que mon ami Lenny ne manquera pas de pommes. Je lui en avais apporté une ; mais je l’ai donnée en route.

La veuve. Oh ! monsieur ! c’est l’intention qui fait tout. Je l’ai bien senti, quand le squire, que Dieu bénisse ! m’a déchargée de deux livres sur le loyer, l’année où il… je veux dire, où Mark mourut.

Le curé. Si Lenny continue à vous aider ainsi, le squire pourra bientôt vous redemander les deux livres.

« Oui, monsieur, dit la veuve avec simplicité, j’espère que cela arrivera ! »


CHAPITRE III.

Ils furent bientôt dans le champ, et un garçon d’environ seize ans, mais d’apparence beaucoup plus jeune, comme il arrive à la plupart des enfants de la campagne, releva la tête de dessus son râteau et les