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Le maire se retourna vivement ; son visage était pourpre ; il alla droit vers la porte ; mais, laissant l’huissier le précéder dans le corridor, il revint sur ses pas et, serrant les poings, il s’écria d’une voix tremblante de colère : « Aussi vrai que je m’appelle Dick Avenel, vous vous repentirez un jour de cette insolence.

— Avenel ! répéta Egerton en reculant… Avenel ! »

Mais le maire était sorti.

Audley tomba dans une profonde rêverie qui dura jusqu’au moment où un domestique vint le prévenir que ses chevaux étaient à la porte.

Il releva la tête d’un air distrait, et vit sa lettre à Harley L’Estrange encore ouverte sur la table. Il l’attira à lui et écrivit : « Un homme vient de me quitter, il dit se nommer Aven… » Mais il s’arrêta court. « Non, non, murmura-t-il, quelle folie de rouvrir une vieille blessure ! » et il effaça soigneusement les mots qu’il avait écrits.

Audley Egerton n’alla pas se promener dans le parc suivant son habitude ; il congédia son groom et, tournant la bride de son cheval du côté de Westminster Bridge, il alla faire dans la campagne une promenade solitaire. Il marcha d’abord au pas, comme absorbé par ses pensées, puis au galop comme pour y échapper. Il arriva ce jour-là plus tard que de coutume à la chambre et parut pâle et fatigué ; mais il avait à parler, et il parla bien.


CHAPITRE V.

En dépit de sa sagesse machiavélique, le docteur Riccabocca n’avait pu réussir à attirer Léonard Fairfield à son service, quoiqu’il fût quasi parvenu à gagner la veuve, à laquelle il avait fait comprendre tous les avantages de sa proposition. Lenny s’élèverait au-dessus des simples journaliers, apprendrait le jardinage dans toutes ses parties et deviendrait un jour chef jardinier. « Et puis, disait Riccabocca, j’aurais soin de son instruction et je lui apprendrais les choses pour lesquelles il a de l’aptitude.

— Il en a pour tout, dit la veuve.

— Eh bien ! dit le sage, tout entrera dans sa tête. »

La veuve fut évidemment éblouie ; car la science lui inspirait un grand respect et elle savait que le curé considérait Riccabocca comme un homme prodigieusement savant. Mais, néanmoins, Riccabocca était papiste et passait pour être magicien ; l’Italien qui était versé dans l’art de flatter le beau sexe, fût, sans nul doute, parvenu à dissiper les scrupules de la veuve sur ces deux points, si la chose eût été nécessaire, mais Lenny coupa court à toutes les négociations. Il dé-