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dépensé beaucoup d’argent pour cela. Maintenant, comme vous voyez, monsieur Egerton, j’ai passé une partie de ma vie dans un pays de liberté, aux États-Unis, et je vais droit à mon but quand je parle à un homme intelligent. Je suis moi-même homme du monde, monsieur ; et si le gouvernement veut faire quelque chose pour moi, à mon tour je ferai quelque chose pour lui. Deux votes dans une ville libre comme la nôtre, c’est quelque chose, n’est-ce pas ?

M. Egerton (pris au dépourvu). Réellement je…

M. le maire (rapprochant encore sa chaise et interrompant le ministre). Le fait est que j’ai mis dans ma tête d’être baronnet. Je conçois que cela vous étonne, monsieur. C’est une chose assez insignifiante ; mais enfin chacun a son faible, et j’avoue que le mien est de m’entendre appeler sir Richard. Eh bien ! si vous voulez y contribuer, vous serez maître de choisir à votre gré deux membres pour les prochaines élections, c’est-à-dire deux hommes de votre bord, qui soient éclairés et à la hauteur des circonstances. N’est-ce point parler franchement et loyalement ?

M. Egerton (se redressant). Je ne sais vraiment, monsieur, pourquoi vous vous adressez à moi pour une proposition si insolite.

M. le maire (secouant la tête avec bonhomie). Voyez-vous, c’est que je ne suis pas ami du gouvernement, et que, selon moi, vous êtes encore le meilleur de la bande. Peut-être ne seriez-vous pas fâché de renforcer votre parti. Ceci est tout à fait entre nous, vous comprenez ; l’honneur est une chose sacrée.

M. Egerton (avec beaucoup de gravité). Monsieur, je vous remercie de la bonne opinion que vous avez de moi ; mais je m’entends toujours avec mes collègues pour toutes les questions qui touchent au gouvernement du pays, et….

M. le maire (interrompant). Ah ! il est juste que vous parliez ainsi, tout à fait juste. Mais j’imagine que les choses iraient tout autrement si vous étiez premier ministre. Cependant j’ai une autre raison pour vous parler de ma petite affaire. Vous avez été jadis le représentant de Lansmere, et je crois que vous n’y avez dû la majorité qu’à deux voix.

M. Egerton. Je ne connais aucune des particularités de cette élection ; j’étais absent.

M. le maire. C’est vrai ; mais, heureusement pour vous, deux de mes parents qui étaient présents, votèrent en votre faveur, et c’est à ces deux votes que vous avez dû d’entrer au parlement. Depuis lors vous avez assez joliment fait votre chemin, et je crois que nous avons bien quelques droits…

M. Egerton. Monsieur, je ne reconnais pas de tels droits. J’étais et je suis encore étranger à Lansmere, et si les électeurs m’ont fait l’honneur de m’envoyer au parlement, c’était plutôt pour…

M. le maire (interrompant de nouveau son interlocuteur). Pour lord Lansmere, alliez-vous dire ; voilà, il me semble, une doctrine tout à fait inconstitutionnelle. Un pair du royaume ! Mais peu importe, je connais le monde, et j’aurais bien demandé à lord Lans-