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propriétaire ! Le paysan qui aime son chez lui, trouve du temps pour embellir sa demeure et se complaît à l’orner, est à coup sûr une mauvaise pratique pour le cabaret, et un voisin sans danger pour les chasses réservées du squire.

En présence d’un pareil spectacle, le curé éprouvait un plaisir égal à celui d’un touriste à la vue des plus beaux paysages de l’Italie. Il s’arrêta un moment au guichet pour regarder autour de lui et aspira avec volupté les parfums des pois de senteur, qui se mêlaient à celui du foin fraîchement coupé dans les champs voisins et qu’une douce brise apportait jusqu’à lui. Il entra alors, frottant soigneusement sur le paillasson ses souliers, qui cependant étaient propres et luisants, car M. Dale était un fashionable parmi les ecclésiastiques ; il leva le loquet.

Ainsi que le touriste regarde avec un plaisir d’artiste la figure de quelque nymphe peinte sur un vase étrusque, et occupée à verser de son urne classique le jus du raisin, le curé éprouva un plaisir aussi innocent, sinon aussi distingué, à contempler la veuve Fairfield remplissant jusqu’aux bords un broc bien reluisant qu’elle destinait aux moissonneurs altérés.

Mistress Fairfield était une femme d’un certain âge, proprette, aux mouvements vifs et précis. En tournant la tête au bruit des pas du curé, elle laissa voir une figure avenante, quoique ses traits ne fussent point d’une beauté remarquable ; un visage sur lequel un sourire agréable et ouvert effaçait en ce moment quelques rides, qui disaient ses chagrins, mais ses chagrins passés. Sa joue pâle, plus pâle qu’il n’est ordinaire aux femmes de la campagne, portait à croire qu’elle avait passé les premiers temps de sa vie dans la lourde atmosphère des villes.

« Que je ne vous dérange pas, dit le curé à mistress Fairfield, qui lui faisait vivement la révérence. Si vous allez aux champs, j’irai avec vous. J’ai quelque chose à dire à Lenny, cet excellent garçon.

La veuve. Merci, monsieur ! vous êtes bien bon. Mais c’est la vérité.

Le curé. Il lit d’une façon remarquable, écrit passablement : c’est le plus sage de toute l’école au catéchisme et aux instructions.

La veuve (essuyant ses yeux avec le coin de son tablier). En vérité, monsieur, quand j’ai perdu mon pauvre Mark, je ne pensais pas pouvoir vivre comme je l’ai fait. Mais cet enfant est si aimable et si bon, qu’en le voyant assis là dans le cher fauteuil de Mark, et qu’en me rappelant combien Mark l’aimait et tout ce qu’il me disait de lui, je ne sais comment cela se fait, mais il me semble que mon bon mari me sourit encore, comme s’il voulait me voir rester sur terre, jusqu’à ce que notre garçon soit devenu grand et n’ait plus besoin de moi.

Le curé (détournant ses regards de la veuve et après un moment de silence). Vous n’avez jamais eu de nouvelles de Lansmere ?

La veuve. Non, monsieur ; depuis la mort de mon pauvre Mark, mes parents ne me regardent plus, ni moi ni mon garçon ; ce n’est