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on n’est point étonné qu’il ne soit pas un orateur au style fleuri, aux arguments ingénieux : c’est un orateur solide, sans être ce qu’on appelle spirituel ; il a ce genre d’esprit qui convient à l’ironie grave et sérieuse. Son imagination n’a rien de remarquable et ses raisonnements ne sont pas des plus subtils ; mais s’il n’éblouit pas, du moins il n’ennuie jamais, il est trop homme du monde pour cela. Il a la réputation de posséder un bon sens solide et un jugement fin. Et maintenant qu’il met de côté le journal, et que ses traits sévères se détendent, vous ne serez pas surpris d’apprendre qu’il a été fort aimé des femmes et qu’il exerce encore une grande séduction dans les salons et les boudoirs. Personne, du moins, ne fut étonné, lorsque Clémentine Leslie, riche héritière, parente et pupille de lord Lansmere, qui avait refusé trois comtes et l’héritier présomptif d’un duché, donna la préférence à Audley Egerton. Ç’avait été le plus cher désir de lord et de lady Lansmere de voir cette jeune fille épouser leur fils, lord L’Estrange. Mais on ne put jamais décider ce jeune gentleman, qui avait sur le mariage des idées tout à fait en rapport avec son caractère excentrique, à se mettre sur les rangs, et, s’il en faut croire les on dit de la ville, il aida tout le premier à négocier le mariage de Clémentine avec son ami Audley ; car ce mariage, malgré l’inclination de la jeune héritière eut besoin d’être négocié. M. Egerton avait des scrupules de délicatesse : il avoua d’abord que sa fortune était beaucoup moins grande qu’on ne le croyait généralement, ajoutant qu’il ne pouvait supporter l’idée de devoir tout à une femme, quelles que fussent d’ailleurs l’estime et l’admiration qu’il eût pour elle. Puis lord L’Estrange (peu de temps après les élections qui avaient donné à Audley Egerton son premier siège au parlement) avait tout à coup quitté le bataillon des gardes dont il faisait partie, et qui restait caserné, pour un régiment de cavalerie en service actif sur la Péninsule. Néanmoins, même au loin et parmi toutes les distractions de la guerre, l’intérêt qu’il prenait à tout ce qui pouvait avancer la carrière d’Egerton n’avait jamais faibli, et par sa correspondance avec son père et sa cousine Clémentine, il avança les négociations du mariage de celle-ci et de son ami. Aussi avant la fin de l’année qui devait ramener Audley à Lansmere, le jeune sénateur obtint la main de la riche héritière, et il fut stipulé que dans le cas où l’un des deux viendrait à mourir sans enfant, la fortune passerait tout entière au survivant. Miss Leslie, malgré toutes les observations que lui avait faites son notaire, avait décidé cette clause avec l’avocat intime de M. Egerton, un certain M. Lévy, dont nous reparlerons plus tard. Egerton ne devait en être instruit qu’après le mariage. En témoignant à M. Egerton une si généreuse confiance, miss Leslie ne faisait aucun tort réel à ses parents, car elle n’en avait pas qui fussent assez proches pour se croire des droits à sa succession. Son héritier naturel était Harley L’Estrange, et si celui-ci était satisfait, personne n’avait le droit de se plaindre. Les liens de parenté qui l’unissaient aux Leslie de Rood-Hall étaient fort éloignés, comme nous l’allons voir.

Ce ne fut qu’après son mariage que M. Egerton prit une part