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pinçait les lèvres et son visage devenait sombre ; un moment après, c’était l’espoir et une orgueilleuse satisfaction de lui-même qui rassérénaient son front et ramenaient un hautain sourire sur ses lèvres ; enfin, il reprit sa physionomie froide, énergique et taciturne, puis revenant à ses livres, il s’assit avec résolution et dit d’une voix assez haute : « Patience : savoir, c’est pouvoir. »


CHAPITRE III.

Le matin qui suivit la visite de Frank Hazeldean à Rood-Hall, le très-honorable Audley Egerton, membre du parlement, conseiller privé, sous-secrétaire d’État, chargé d’un important département, était assis dans sa bibliothèque, attendant l’heure de la poste, avant de se rendre au ministère. Pendant ce temps il buvait son thé à petites gorgées et jetait sur les journaux ce rapide et dédaigneux coup d’œil que nos hommes politiques accordent à grand’peine aux critiques et aux éloges du quatrième pouvoir.

Il y a fort peu de ressemblance entre M. Egerton et son beau-frère, sinon que tous deux sont d’une haute stature, que tous deux ont cette charpente forte et musculeuse particulière aux Anglais. Mais sous ce rapport même ils ne se ressemblent pas ; car les formes athlétiques du squire commencent à prendre ce bel embonpoint qui semble le développement naturel des hommes heureux voisins de la cinquantaine. Audley, au contraire, est disposé à la maigreur, et quoique ses muscles aient la solidité du fer, il est assez élancé pour satisfaire l’idée que l’on se fait à la ville d’un homme élégant Ses vêtements, son regard, tout l’ensemble de sa personne annonce le Londonien. Au premier abord on trouve même chez lui plus de recherche qu’il n’est habituel aux membres actifs de la Chambre des communes. Mais Audley Egerton n’est pas seulement un membre actif de la Chambre des communes, il a toujours été un personnage marquant dans la meilleure compagnie, et le secret de son succès, c’est la réputation qu’il a d’être avant tout un gentleman.

Penchée en ce moment sur les journaux, sa tête a un caractère particulier de noblesse et de distinction ; son profil est beau, et de ce genre de beauté qui impose aux hommes en même temps qu’il plaît aux femmes, et qui, à l’opposé de celui des jolis hommes, est d’un avantage positif dans la vie publique. C’est un profil aux traits accentués, mâles et un peu sévères. Son visage n’est pas ouvert comme celui du squire, mais il ne reflète pas non plus la froide discrétion du jeune Leslie ; sa physionomie est empreinte de cette réserve, de cette dignité de cet empire sur soi qui est particulier aux hommes habitués à réfléchir avant de parler. Quand on le regarde,