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Les années, consumées dans de laborieuses études, avaient déjà jeté dans cette frêle organisation des germes de plus d’une maladie, de plus d’un souci ; mais si vos yeux s’étaient arrêtés plus longtemps sur ce visage, votre pitié se serait insensiblement évanouie pour faire place à quelque sentiment pénible et sinistre, un sentiment voisin de la crainte. Il y avait dans son expression générale une énergie si froide et si calme qu’elle démentait la débilité du corps. On ne pouvait douter qu’on ne fût en présence d’un esprit cultivé et l’on sentait dans cet esprit je ne sais quoi de formidable. Cette physionomie formait un contraste frappant avec la ronde et florissante figure d’Olivier dont les yeux bleus demeuraient fixés sur les yeux pénétrants de son frère, comme s’il eût fait tous ses efforts pour leur dérober cette science qui les faisait briller de l’éclat vif et froid d’une étoile.

En entendant le coup frappé par Frank, les yeux d’Olivier s’animèrent et il s’élança de la place qu’il occupait auprès de son frère. La petite fille rejeta en arrière les tresses qui lui tombaient sur le visage, et regarda fixement sa mère d’un air d’étonnement et d’effroi.

Le jeune étudiant fronça le sourcil, puis reprit son livre d’un air de fatigue.

« Mon Dieu, s’écria mistress Leslie, qui ce peut-il être ? Olivier, retire-toi de la fenêtre tout de suite ; on va te voir. Juliette, cours sonner la cloche : ou plutôt non. Cours à l’escalier de la cuisine et appelle Jenny. « Il n’y a personne, il n’y a personne, quelque soit le visiteur, » répéta mistress Leslie hors d’elle-même, car en ce moment le sang des Montfydget bouillonnait dans ses veines.

Au bout de quelques instants, on entendit distinctement du dehors la voix jeune et forte de Frank.

Randal tressaillit légèrement.

« C’est la voix de Frank Hazeldean, ma mère, dit-il, je désirerais le voir.

— Le voir ! répéta mistress Leslie surprise, le voir ! lorsque la chambre est dans cet état. »

Randal aurait pu répondre que la chambre n’était pas plus en désordre qu’à l’ordinaire, mais il se tut. Une légère rougeur anima et quitta instantanément son pâle visage : il appuya sa tête sur sa main, et serra énergiquement les lèvres.

La porte inhospitalière se referma au dehors avec un bruit sourd, et une servante en savates entra tenant une carte à la main.

« Pour qui est-ce ? donnez-la-moi, Jenny, » cria mistress Leslie.

Mais Jenny secouant la tête, déposa la carte sur le pupitre de Randal et disparut sans mot dire.

« Oh ! regarde donc, Randal, regarde donc, s’écria Olivier en retournant précipitamment vers la fenêtre, le joli poney ! »

Randal leva la tête, il se décida même à aller à la fenêtre, il contempla un moment le poney ardent et son jeune et élégant cavalier. En un instant mille expressions diverses passèrent sur sa physionomie plus rapidement que les nuages ne traversent le ciel dans un jour d’orage : tantôt c’était une expression d’envie et de colère, alors il