Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/64

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plusieurs liasses de mémoires, un vieil étrier, trois paires de boucles de jarretières et de souliers qui avaient appartenu au père de M. Leslie, quelques cachets liés ensemble par un cordon de souliers, un étui à cure-dents en peau de chagrin, une coupe en écaille, les premiers cahiers de son fils aîné, dito de son second fils, dito de sa fille, et une mèche de cheveux de sa femme formée en nœud d’amour encadré sous verre. On y voyait aussi une petite souricière, un tire-bouchon breveté, trop précieux pour qu’on s’en servît habituellement ; les morceaux d’une cuiller à thé, qui par suite d’une décadence naturelle était arrivée à la disjonction de ses parties ; une petite bourse de toile écrue contenant des half-pence de dates différentes depuis la reine Anne, accompagnés de sous français et d’un silber-gros allemand, mélange que M. Leslie appelait emphatiquement ses médailles. On y voyait encore un grand nombre d’autres curiosités du même genre et de la même valeur quæ nunc describere longum est. M. Leslie était occupé en ce moment à ranger son cabinet, soin dont il s’occupait avec une exactitude exemplaire une fois chaque semaine : c’était son jour de rangements ; il venait de compter ses médailles et rattachait lentement le sac qui les contenait, quand le coup de marteau donné par Frank vint frapper ses oreilles.

M. Maunder Slugge Leslie s’arrêta, puis secoua la tête avec un mouvement d’incrédulité et se préparait à reprendre ses occupations quand il fut pris d’une envie de bâiller qui l’empêcha pendant deux grandes minutes de lier le sac de toile.

Quittons ces graves occupations du cabinet de travail pour examiner les occupations récréatives du salon ou plutôt de la salle. Il y avait bien un salon au premier étage dont la vue agréable s’étendait non pas sur les sombres sapins, mais sur les têtes ondoyantes des arbres de la forêt ; mais on ne s’était point servi de ce salon depuis la mort de la dernière Mme Leslie. Il avait paru trop beau pour être habité, si ce n’est lorsqu’il y avait du monde ; or, comme il n’y avait jamais de monde, on n’y entrait jamais. À cette époque, le papier moisi y tombait en lambeaux, et les rats, les souris et les vers, ces edaces rerum, avaient rongé le crin et l’étoffe des fauteuils plus une grande partie du parquet. La salle à manger était donc le seul lieu de réunion générale, et comme on y déjeunait, qu’on y dînait, qu’on y soupait, et que M. Leslie y fumait avec accompagnement de grog, on ne peut nier que cette pièce n’eût ce que l’on appelle « une odeur, » une odeur témoignant qu’il y avait eu du monde, des mets et un mélange varié d’habitants. Il y avait deux croisées, l’une donnait sur les sapins, l’autre sur la basse-cour, et la vue de ce côté se trouvait bornée par le têt à porcs. Près de la fenêtre donnant sur les sapins était assise mistress Leslie ; devant elle, sur un tabouret élevé se trouvait une corbeille remplie de vêtements à raccommoder. Une table à ouvrage en bois de rose incrusté de cuivre, qui avait été un présent de noces et avait dû coûter fort cher, était placée près d’elle. Le cuivre sortait en plusieurs endroits et faisait de temps à autre de grands accrocs aux doigts des enfants et aux robes de Mme Leslie.