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« Plus nous devenons sages, se dit-il, plus nous regrettons l’âge de nos folies. Il vaut mieux galoper avec un cœur léger en gravissant l’âpre colline que de rester assis à s’écrier en face des âpres maximes de Machiavel : que c’est vrai ! » En disant ces mots, il rentra au belvédère, mais il ne put reprendre ses études. Il resta quelques minutes à contempler le paysage jusqu’à ce que cette vue le fît songer aux champs que Jackeymo voulait louer et que les champs lui rappelassent Lenny Fairfield. Il rentra à la maison et reparut quelques moments après, avec son manteau et son parapluie ; puis rallumant sa pipe, il se dirigea vers le village d’Hazeldean.

Cependant Frank, après avoir galopé à une certaine distance, s’arrêta devant un cottage et apprit là qu’un chemin de traverse conduisant à Rood-Hall pouvait abréger sa route de près de trois milles. Frank, cependant, ne trouva pas ce chemin et suivit la grande route. Un garde-barrière, après avoir reçu son droit de péage, le remit dans le chemin de traverse, et il arriva enfin dans de verts sentiers où un écriteau effacé lui indiqua le chemin de Rood-Hall. La soirée était très-avancée, et il avait fait plus de quinze milles dans le désir d’en réduire dix à sept, il se trouva tout à coup au milieu d’un terrain agreste et sauvage qui paraissait être à moitié privé, à moitié public, avec de mauvaises petites cabanes en ruines, nichées dans des enfoncements ; des enfants déguenillés et désœuvrés faisaient des pâtés de terre glaise sur la route ; des femmes malpropres, assises au seuil des maisons, tressaient de la paille : sur l’un des côtés de la route se dressait dans une fière simplicité une vaste église presque en ruines dont l’abandon semblait dire que la génération qui l’avait vu bâtir était plus religieuse que celle qui la fréquentait alors.

« Est-ce là le village de Rood ? » demanda Frank à un vigoureux jeune homme qui cassait des pierres sur le chemin ; ce qui malheureusement prouvait qu’on n’avait pu lui trouver de meilleure occupation.

L’homme fit d’un air maussade un signe affirmatif et continua son travail.

« Et où est le château de… de M. Leslie ? »

L’homme le regarda d’un air hébété et surpris, et cette fois, porta la main à son chapeau.

« C’est y là q’vous allez ?

— Oui, si je pouvais le découvrir.

— Je vas l’indiquer à Vot’Seigneurie, » répondit le paysan.

Frank ralentit le pas de son poney, et l’homme marcha à côté de lui.

Frank tenait beaucoup de son père, et malgré la différence d’âge et malgré cette délicatesse de manières qui semble caractériser les générations nouvelles, à mesure que la civilisation fait des progrès. Notre élégant écolier d’Eton était familier avec les paysans et avait pour les choses de la campagne la vivacité de coup d’œil de l’homme élevé aux champs.

« Vous ne me paraissez guère heureux dans ce village, mon