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— Docteur Rickeybockey, balbutia Frank, confus de ces paroles pleines de politesse et du salut profond, mais digne qui les avait accompagnées ; je… j’ai une lettre pour vous du château. Maman… c’est-à-dire ma mère et ma tante jemima vous présentent leurs sincères compliments et espèrent que vous voudrez bien venir. »

Le docteur prit le billet en saluant de nouveau et ouvrant la porte vitrée, il invita Frank à entrer.

Le jeune homme, avec le brusque sans façon d’un écolier, allait dire qu’il était très-pressé et qu’il n’en avait pas le temps ; mais les manières nobles de l’Italien lui imposèrent, le peu qu’il avait vu du Casino excitait d’ailleurs sa curiosité ; aussi obéit-il à l’invitation sans mot dire.

Le vestibule, d’une forme octogone, était garni de panneaux, sur chacun desquels l’Italien avait peint des paysages, resplendissants de la chaude lumière du soleil de son pays. Frank n’était pas en état de juger du talent de l’artiste, mais il fut profondément frappé par les sujets des peintures : toutes représentaient des points de vue de quelque lac réel ou imaginaire ; dans tous des eaux d’un bleu d’azur réfléchissaient des ciels d’un bleu d’azur. Ici des degrés conduisaient au lac et un groupe joyeux déjeunait sur le bord ; là, un soleil couchant jetait ses rayons dorés sur une vaste villa ou plutôt sur un palais adossé aux Alpes et bordé de longues arcades de vignes, tandis que dans le bas des gondoles se balançaient sur les vagues. Bref, dans chacun des huit panneaux le sujet différent sous le rapport des détails, conservait le même caractère général, comme si on eût voulu représenter quelque lieu favori. L’Italien ne parut point avoir le moindre désir de faire les honneurs de son talent, mais précédant Frank en passant dans le vestibule, il ouvrit la porte de son cabinet de travail et le pria d’y entrer. Frank entra presque malgré lui et s’assit, de l’air le plus embarrassé du monde, sur le bord d’une chaise. Mais là de nouvelles preuves du talent du docteur attirèrent bientôt son attention. La chambre avait été dans le principe tendue de papier, mais Riccabocca avait attaché des toiles sur les murs, et y avait peint divers sujets satiriques. Chacun d’eux était séparé de son voisin par des arabesques fantastiques de papier découpé. Ici se voyait un amour, traînant une brouette pleine de cœurs, qu’il semblait vouloir vendre à un vieux bonhomme fort laid portant un sac d’écus dans sa main (c’était sans doute Plutus). Ici c’était Diogène se promenant sur un marché, sa lanterne à la main, à la recherche d’un honnête homme, tandis que les enfants se moquaient de lui et que les chiens lui mordaient les talons. Dans un autre endroit se voyait un lion à demi revêtu de la peau d’un renard et un loup à figure de mouton causant amicalement avec un jeune agneau. Ici c’étaient des oies allongeant leurs cous du haut du Capitole et caquetant de toutes leurs forces, tandis que dans le lointain les terribles ennemis fuyaient à toute vitesse ; dans chacun de ces petits compartiments, on découvrait quelque amer sarcasme sous une allégorie. Au-dessus de la cheminée seulement se trouvait un sujet plus grave et plus tou-