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était celui du curé Dale, — Mesdames et messieurs, quel est le vôtre ? Je ne prétends pas après tout donner mon pauvre curé comme un curé modèle ; dans un village aussi peu considérable qu’Hazeldean un individu modèle suffit, et nous savons tous que Lenny Fairfield est en possession de ce titre, et qu’il a obtenu la surveillance des ceps pour émoluments. Le curé Dale était entré dans les ordres, il n’y a pas un siècle, mais cependant à une époque où l’on prenait les choses plus aisément que de nos jours. Le vieux curé d’alors faisait sa partie de whist comme une chose qui allait de soi, et on rencontrait parfois le curé d’un certain âge à cheval, s’en allant chasser. (J’ai connu un professeur, docteur en théologie, vraiment excellent homme et dont les élèves appartenaient aux plus illustres familles anglaises, qui chassait régulièrement trois fois la semaine pendant la saison.) Et souvent le jeune curé chantait quelque bonne chanson que n’avait pas composée David, et se mêlait à ces danses rotatoires que certainement David n’avait jamais dansées devant l’arche.

Faut-il donc un si long exorde, pauvre curé Dale, pour t’excuser d’avoir retourné cet as de pique avec un sourire si triomphant adressé à ton partenaire ? Je dois avouer que tout conspirait à rendre le curé plus coupable. D’abord il ne jouait pas charitablement et purement dans l’intention d’obliger les autres ; il aimait le jeu, c’était un plaisir qu’il savourait, il était tout entier à sa partie et n’était pas indifférent à l’enjeu, comme eût dû l’être un pasteur chrétien. C’était d’un air maussade qu’il tirait ses shillings de sa bourse ; et avec la plus joyeuse physionomie qu’il y faisait entrer ceux des autres. Enfin, par suite de ces combinaisons habituelles aux gens mariés qui jouent à la même table, M. et mistress Hazeldean étaient invariablement partenaires et on vit rarement deux personnes jouer plus mal. Le capitaine Barnabé qui avait joué à Graham avec honneur et profit, était nécessairement le partenaire du curé Dale qui lui-même jouait bien et serré. En sorte, qu’à parler franchement, c’était à peine un jeu honnête, c’était presque une friponnerie, que la réunion de ces deux capacités contre cet innocent ménage. M. Dale, à dire vrai, avait conscience de cette disproportion de forces et avait souvent offert ou de changer les partenaires ou de rendre des points, propositions rejetées avec mépris par le squire et sa femme ; en sorte que le curé avait été obligé de rempocher sa conscience avec les fiches qui constituaient sa part de bénéfice.

Ce qu’il y a de plus étrange c’est de voir les impressions diverses que le whist produit sur les caractères. Ce n’est pas, comme on le prétend, un moyen de les connaître. Les meilleures gens du monde s’aigrissent au whist ; et j’ai vu des gens maussades et bourrus, dans le cours ordinaire de la vie, supporter leurs pertes avec le stoïcisme d’Épictète. Ce contraste était remarquable entre les adversaires du château et le presbytère. Le squire, regardé comme le gentleman le plus irascible du comté, était le meilleur enfant du monde lorsqu’il était battu en face du souriant visage de sa femme. Jamais on n’entendait ces incorrigibles étourdis se gronder l’un l’autre ; bien au