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le domestique, « le docteur T. est avec lui, et peut-être trouvera-t-il mauvais qu’on le dérange,

— Comment ? votre maître est donc malade ?

— Non pas que je sache, monsieur. Il ne se plaint jamais ; mais il paraissait souffrant depuis quelques jours. »

Randal hésita, mais sa commission pouvait être importante, et il avait si souvent entendu dire à Egerton que la santé comme tout le reste doit céder le pas aux affaires, qu’il se décida à entrer, comme de coutume, sans se faire annoncer ; il ouvrit la porte de la bibliothèque. En y entrant il tressaillit : Audley Egerton était à demi couché sur le sofa, et le docteur à genoux lui appliquait un stéthoscope sur la poitrine. Egerton avait les yeux à demi fermés. Lorsqu’il entendit ouvrir la porte, il se leva en sursaut et faillit renverser le docteur. « Qui est là ? comment osez-vous ! » s’écria-t-il d’une voix irritée. Puis reconnaissant Randal, il changea de couleur, se mordit les lèvres et dit sèchement : « Je vous demande pardon de ma brusquerie ; que voulez-vous, monsieur Leslie ?

— J’apporte une lettre de lord… Il m’a prié de ne vous la remettre qu’en mains propres, je vous demande pardon.

— Il n’y a pas lieu, dit Egerton froidement. J’ai eu une légère attaque de bronchite, et comme le parlement se réunit prochainement, il me faut prendre conseil de mon médecin si je veux pouvoir me faire entendre. Posez cette lettre sur la table et soyez assez bon pour attendre ma réponse. »

Randal se retira. Il n’avait jusqu’ici jamais vu de médecin dans cette maison, et il était étonné qu’Egerton en eût appelé un pour une si légère attaque. Tandis qu’il attendait dans l’antichambre, on frappa à la porte de la rue, et bientôt un monsieur fort bien mis entra et honora Randal d’un salut gracieux et presque familier. Randal se rappela avoir rencontré ce personnage à un dîner chez un jeune gentilhomme appartenant à l’élite de la fashion, mais on ne les avait point présentés l’un à l’autre, et il ignorait jusqu’à son nom. Le visiteur était mieux informé.

« Notre ami Egerton est en affaire à ce qu’il paraît, monsieur Leslie, » dit le nouveau venu en arrangeant le camélia qui décorait sa boutonnière.

« Notre ami Egerton ! C’est donc un bien grand personnage ! » pensa Randal. « Il sera probablement bientôt libre, dit-il tout haut en examinant attentivement l’étranger.

— Je l’espère, car mon temps est quasi aussi précieux que le sien. Je n’ai pas eu l’honneur de vous être présenté lorsque nous nous sommes rencontrés chez lord Spendquick. C’est un bien brave garçon que Spendquick, et fort intelligent. »

Lord Spendqueik passait généralement pour n’avoir pas deux idées de suite.

Randal sourit.

L’étranger prit une carte dans un portefeuille de maroquin et la présenta à Randal, qui y lut : « Baron Lévy, no —, Bruton Street. »