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du règne de Georges III, contrastaient aussi çà et là avec ces fauteuils au dossier élevé d’une date beaucoup plus ancienne, remontant à l’époque où les dames avec leurs paniers et les gentlemen avec leurs culottes semblaient devoir ignorer la position horizontale. Les luisantes boiseries des murailles étaient principalement tapissées de portraits de famille. De distance en distance, il est vrai, quelques marchés de Flandre, quelques batailles navales montraient que le premier propriétaire avait été moins exclusif dans son goût pour les arts. Le piano-forte était ouvert à côté de la cheminée. Au bout du salon, une longue bibliothèque mêlait son grave sourire au reste de l’ameublement. On l’appelait la bibliothèque de Madame. Cette collection commencée par la grand’mère du squire, de pieuse mémoire, complétée par sa mère, qui avait plus de goût pour la littérature légère, n’avait guère été augmentée par mistress Hazeldean, qui, n’aimant pas beaucoup à lire, se contentait de s’abonner à un cabinet de lecture. Dans cette bibliothèque féminine, les sermons recueillis par mistress Hazeldean, la grand’mère, se trouvaient côte à côte avec les romans achetés par mistress Hazeldean, la mère.

Mixtaque ridenti colocasia fundet acantho.

Mais à coup sûr ces romans, malgré leurs titres enflammés tels que l’Amour funeste, les Illusions du cœur, étaient si inoffensifs, qu’il est douteux que les sermons aient jamais eu beaucoup à se plaindre de leurs voisins.

Un perroquet dormant sur son perchoir, des poissons rouges sommeillant dans leur bocal, deux ou trois chiens couchés sur le tapis du foyer, et Flimsey, l’épagneul de miss Jemima, roulé en boule sur le sofa ; la table à ouvrage de mistress Hazeldean un peu en désordre, comme si on venait de s’en servir ; la Chronique de Saint-James posée sur un petit guéridon, près du fauteuil du squire ; un écran de cuir doré et gaufré garantissant du feu la table de jeu ; tous ces objets dans une pièce assez grande pour les contenir sans qu’elle parût en être encombrée, permettaient aux yeux de se reposer souvent et avec plaisir toutes les fois qu’ils se détournaient du spectacle de la nature pour rentrer au foyer.

Mais le capitaine Barnabé, fortifié par sa quatrième tasse de thé, se risque à dire tout bas à Mme Hazeldean : « Ne voyez-vous pas que le curé est impatient de commencer la partie ? » Mistress Hazeldean regarde le curé et sourit : mais en même temps elle donne le signal au capitaine ; on sonne, les lumières sont apportées et les rideaux tirés ; encore quelques minutes, et le groupe se rassemble autour de la table. Les meilleurs d’entre nous ne sont que des hommes après tout : cette vérité n’est pas neuve, je l’avoue, ce qui n’empêche pas que bien des gens l’oublient tous les jours, et je suppose que, parmi mes lecteurs, il y en a beaucoup qui pensent charitablement que mon curé n’aurait pas dû jouer au whist ; je me contenterai de répondre à ces austères moralistes que chaque homme a son faible et que le whist