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blement mon devoir envers vous et votre enfant, je m’afflige de penser que vous me croyiez encore aussi peu digne de votre confiance que le jour où vous étiez près de moi à l’autel.

— Ma confiance ! répéta Riccabocca surpris. Que parlez-vous de confiance ? En quoi en ai-je manqué ? Je vous assure, continua-t-il avec la volubilité d’un homme qui se sent coupable, que je n’ai jamais douté de votre fidélité, en dépit de mon nez crochu, de ma longue face et de ma qualité d’étranger ; je n’ai jamais cherché à lire vos lettres ni à surveiller vos promenades solitaires, je n’ai jamais eu d’inquiétude en vous voyant coqueter avec le ministre Dale, et je n’ai ni gardé l’argent ni inspecté vos livres de comptes ! »

Mistress Riccabocca n’accorda pas même un sourire de mépris à ces révoltantes évasions ; à peine parut-elle les avoir entendues.

« Pouvez-vous croire, reprit-elle en appuyant sa main sur son cœur pour l’empêcher de s’épancher en sanglots, pouvez-vous croire que j’aie cherché, réfléchi et fatigué ma pauvre tête à deviner chaque jour ce qui pouvait vous plaire on vous consoler, et que je ne me sois pas depuis longtemps aperçue que vous avez des secrets qui sont connus de votre fille, de votre domestique, et que moi seule j’ignore ? Ne craignez rien. Ces secrets ne peuvent être coupables, vous ne les confieriez pas à votre enfant. En outre, ne connais-je pas votre nature et ne vous aimé-je pas parce que je la connais ? C’est pour quelque chose qui a rapport à ces secrets que vous voulez quitter votre maison. Vous craignez que je ne sois imprudente, maladroite. C’est pour cela que vous ne voulez pas m’emmener ; soit ! Je vais tout préparer pour votre départ. Pardonnez-moi si je vous ai déplu, mon ami. »

Mistress Riccabocca se leva pour se retirer, mais une petite main se posa sur le bras de l’Italien. « Ô mon père, résisterez-vous à ceci ? Fiez-vous à elle, je vous en conjure. Ne suis-je pas une femme comme elle ! Je réponds de son silence. Soyez vous-même, vous le plus noble des hommes, ô mon père !

— Diavolo ! À peine une porte est-elle fermée qu’une autre s’ouvre, dit en gémissant Riccabocca. Ne vois-tu donc pas, Violante, que c’est pour toi que je crains et que je veux être prudent.

— Pour moi ! Ah ! que je ne sois pas la cause d’une bassesse ! Pour moi ! Ne suis-je pas votre fille, la descendante d’hommes qui n’ont jamais connu la crainte ? »

L’expression du visage de Violante était sublime tandis qu’elle parlait ainsi, et en finissant elle conduisit doucement son père vers la porte, que sa femme avait maintenant atteinte.

« Jemima ! ma femme ! pardon, pardon ! s’écria l’Italien, dont le cœur avait soif de répondre à tant de tendresse et de dévouement, viens sur mon cœur, il t’a été longtemps fermé, je vais te l’ouvrir maintenant et pour toujours. »

L’instant d’après l’épouse se trouva à sa véritable place, pressée sur le cœur de son mari, et Violante leur souriant un instant à tous deux, leva vers le ciel des yeux reconnaissants et se retira sans bruit.