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« Si jeune et déjà si triste ! » Violante n’avait jamais songé que ces mêmes années qui d’une enfant faisaient d’elle une femme, avaient dû passer plus sévèrement sur ces joues pâles et sur ce front rêveur ; que le monde avait pu altérer la nature de cet homme et le temps son extérieur. Pour elle, ce héros de l’idéal était resté éternellement jeune et beau. Douce illusion, qui nous est commune à tous, lorsque la poésie a une fois revêtu, enveloppé la forme humaine ! Qui jamais s’est représenté Pétrarque comme un vieillard usé par les années ? Qui ne le voit toujours tel que Laura le vit pour la première fois !

Ogni altra casa, ogni pensier va fore,
E sol ivi con voi rimansi Amore
 ! »


CHAPITRE X.

Et Violante, ainsi absorbée par sa rêverie, oublia d’observer le belvédère. Il était maintenant désert. L’épouse qui n’avait d’autre idéal que Riccabocca pour occuper sa pensée le vit, elle, se diriger vers la maison.

L’exilé entra dans la chambre de sa fille qui tressaillit en sentant son père poser une main sur sa tête et toucher son front des lèvres.

« Mon enfant, dit Riccabocca s’asseyant, j’ai résolu de quitter pour un temps cette retraite et de me fixer dans les environs de Londres.

— Ah ! cher père, c’est donc à cela que vous pensiez ? Mais quelle peut être votre raison ? Ne vous en allez pas ; vous savez combien fidèlement j’ai gardé votre secret. Ayez donc confiance en moi.

— Oui, chère enfant, reprit Riccabocca avec émotion. Je veux quitter cet endroit dans la crainte d’y être découvert par mes ennemis. Je dirai à ceux qui m’interrogeront que tu es d’âge à avoir des maîtres que je ne puis me procurer ici. Mais je voudrais que personne ne sût où nous allons. »

L’Italien dit ces derniers mots entre ses dents et en baissant la tête ; il en était honteux.

« Mais ma mère… (c’est ainsi que Violante avait coutume de nommer Jemima) ma mère ? Vous lui avez sans doute parlé de vos projets ?

— Pas encore ; c’est là la difficulté.

— Il ne peut y avoir de difficulté ; elle vous aime tant ! répliqua Violante d’un ton de doux reproche. Ah ! pourquoi n’avoir pas confiance en elle aussi ? Qui sera jamais meilleure ou plus dévouée ?

— Elle est bonne, j’en conviens, s’écria Riccabocca, mais qu’est-ce