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distraie et arrive à bien savoir lui-même ce qu’il veut. Probablement ce sont des idées de cette nature qui l’ont empêché de venir ici. »

Randal, redoutant un éclaircissement, se leva en disant :

« Pardonnez-moi ; mais il faut que je déjeune à la hâte, sans quoi je manquerai la diligence. »

Puis il offrit le bras à son hôtesse, et la conduisit dans la salle à manger. Il mangea rapidement, affectant d’être très-pressé ; puis, prenant cordialement congé de ses hôtes, il mit son cheval au galop.


CHAPITRE IX.

Violante était assise dans sa petite chambre, regardant par la fenêtre la terrasse qui s’étendait au-dessous. La journée était chaude pour cette époque de l’année. Les orangers étaient déjà mis à l’abri des atteintes de l’hiver ; à la place qu’ils avaient occupée, mistress Riccabocca était assise à coudre. Dans le belvédère, Riccabocca conversait avec son serviteur favori ; les fenêtres et la porte du pavillon étaient ouvertes, et de la place où elles étaient chacune, mistress Riccabocca et Violante pouvaient toutes deux voir le padrone s’appuyant contre le mur, les bras croisés et les yeux fixés sur la terre, tandis que Giacomo, un doigt posé sur le bras de son maître, lui parlait avec chaleur. Et, de la fenêtre comme de la terrasse, la fille et l’épouse dirigeaient des regards tendres et inquiets vers cette figure pensive, si chère à toutes deux ; car depuis quelques jours Riccabocca s’était montré sombre et préoccupé ; toutes deux sentaient que quelque chose troublait son âme, mais ni l’une ni l’autre ne savait encore ce que c’était,

La chambre de Violante révélait silencieusement le genre d’éducation qu’avait reçue la jeune fille : à l’exception d’un album de dessins ouvert sur un pupitre, et qui témoignait d’un talent exquis (car en ceci Riccabocca lui avait servi de maître), rien n’y rappelait les occupations ordinaires d’une femme. On n’y voyait ni harpe, ni piano, ni métier à broder, aucun ustensile d’ouvrage à l’aiguille n’y trahissait la présence et les goûts habituels d’une jeune fille ; mais sur des planches étaient rangés les meilleurs auteurs italiens, anglais et français, et ceux-ci témoignaient de connaissances que l’homme qui cherche une compagne pour son esprit dans la douce communion d’une femme, ne condamnera jamais comme trop masculines. Il ne fallait que regarder le visage de Violante pour comprendre la noblesse de l’intelligence qui animait ses traits charmants. Il n’y avait rien là de dur, rien de sec ni d’austère ; la science qu’on y devinait se perdait dans la douceur et la grâce ; en effet, ce qu’elle acquérait d’instruction sérieuse se transformait chez elle en élévation morale.