Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/405

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mander de vous expliquer davantage… trop fier pour paraître craindre cet homme. Mais il le craint… il doit le craindre…, il faut qu’il le craigne…, continua Giacomo en s’échauffant, car le padrone a une fille, et son ennemi est un scélérat. Oh ! monsieur, dites-moi tout ce que vous n’avez pas dit au padrone. Vous avez insinué que cet homme pouvait désirer d’épouser la signora. Lui, l’épouser ! Je lui couperais plutôt la gorge à l’autel ?

— En vérité ! Cependant je crois que tel est son dessein.

— Mais pourquoi ? Il est riche… elle n’a rien ; ceci n’est pas tout à fait exact cependant, car nous avons économisé…, mais ce n’est rien en comparaison de sa fortune à lui.

— Mon ami, je ne connais pas encore ses raisons, mais je parviendrai facilement à les savoir. Si ce comte est l’ennemi de votre maître, vous ferez bien de vous mettre en garde contre ses projets, quels qu’ils soient, et dans ce but, vous devriez vous cacher à Londres ou dans les environs. Je crains que tandis que nous perdons le temps en paroles, le comte ne vienne à découvrir votre retraite.

— Il fera bien de ne pas venir ici ! s’écria le fidèle domestique d’un ton menaçant, en portant instinctivement la main à la place de son couteau vacant.

— Méfiez-vous de votre propre colère, Giacomo. Un acte de violence vous ferait transporter hors d’Angleterre, et votre maître perdrait un ami fidèle. »

Giacomo parut frappé de cet avertissement.

« Et si le padrone le rencontrait, croyez-vous qu’il lui dirait humblement : Come stà sua signoria ? Le padrone l’étendrait mort à ses pieds.

— Chut…, chut. Vous parlez de ce qui, en Angleterre, s’appelle un meurtre et s’expie par le gibet. Si vous êtes réellement attaché à votre maître, pour l’amour du ciel, tirez-le d’ici ; arrachez-le à toute occasion de vengeance et de péril. Je retourne demain à Londres ; je me charge de lui trouver une maison à l’abri des espions et de toute découverte ; et là, mon ami, je pourrai ce que je ne saurais faire de loin, veiller sur lui et avoir en même temps l’œil sur son ennemi. »

Giacomo saisit la main de Randal et la porta à ses lèvres ; puis, comme frappé d’un soupçon subit, il la laissa retomber et dit brusquement :

« Signor, vous n’avez vu le padrone que deux fois, je crois ; d’où vient que vous prenez tant d’intérêt à ce qui le concerne ?

— Est-il donc étonnant que je m’intéresse à un exilé que menacent tant de dangers ? »

Giacomo, qui croyait peu à la philanthropie universelle, secoua la tête d’un air de doute.

« En outre, continua Randal, songeant soudain à une explication plus plausible, en outre, je suis parent de M. Egerton et l’ami le plus intime de M. Egerton est lord L’Estrange, et je sais que lord L’Estrange…

— Le bon lord ? Oh ! maintenant je comprends, interrompit Gia-