Randal. « Je ne connais du comte de Peschiera que ce qu’on dit de lui dans le monde. Il passe pour jouir des biens d’un de ses parents qui a pris part à une conspiration contre l’Autriche.
Riccabocca. C’est vrai. Cela doit lui suffire ; que veut-il de plus ? Vous parlez de prévenir le danger ; quel danger ? Ne suis-je pas sur le sol de l’Angleterre et protégé par ses lois ?
Randal. Permettez-moi de vous demander si dans le cas où ce parent n’aurait pas d’enfants, le comte de Peschiera serait l’héritier légitime et naturel des biens dont il jouit temporairement ?
Riccabocca. Oui. Eh bien ? »
Randal. Cette pensée ne menace-t-elle d’aucun danger l’enfant de ce parent ?
Riccabocca recula d’horreur ! « L’enfant ! dit-il avec effort. Mais cet homme, tout infâme qu’il est, ne saurait concevoir la pensée d’un assassinat ! »
Randal s’arrêta ; il hésitait ; le terrain était délicat. Il ignorait les causes du ressentiment que nourrissait l’exilé contre le comte. Il se demandait si Riccabocca ne consentirait pas à une alliance qui lui rendrait son pays ; il résolut de tâter son chemin avec précaution.
« Je ne songeais pas, dit-il avec un sourire grave, à accuser d’une si horrible intention un homme que je n’ai jamais vu. Il vous cherche, voilà tout ce que je sais. Je suppose d’après ce qu’on dit de son caractère qu’il est de son intérêt de vous trouver. Tout pourrait peut-être s’arranger dans une entrevue ?
— Une entrevue ! s’écria Riccabocca, nous ne pouvons nous rencontrer que les armes à la main.
— En êtes-vous là ? Alors vous refuseriez d’écouter le comte s’il proposait quelque compromis, si, par exemple, il aspirait à la main de votre fille ? »
Le pauvre Italien si rusé et si subtil en paroles, se montrait dès qu’on en venait à l’action, aussi bouillant et aussi aveugle que s’il fût né en Irlande, eût été nourri de pommes de terre et élevé aux cris du Rappel de l’Union. Il mit son âme à nu sous l’œil impitoyable de Randal.
« Ma fille ! s’écria-t-il, cette question, monsieur, est à elle seule une insulte. »
Randal vit clairement la voie qu’il avait à suivre. « Pardonnez-moi, dit-il avec douceur, je vais vous dire franchement tout ce que je sais. Je connais la sœur du comte et j’ai sur elle quelque influence. C’est elle qui m’a appris que le comte était venu à Londres, résolu à découvrir votre retraite et à épouser votre fille. C’est là le danger auquel je faisais allusion ; je ne voulais que vous suggérer qu’il serait peut-être sage de chercher une retraite plus sûre, et que s’il m’était permis de connaître cette retraite, je pourrais de temps à autre vous informer des plans et des mouvements du comte.
— Je vous remercie sincèrement, monsieur, dit Riccabocca avec émotion, mais ne suis-je point en sûreté ici ?