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CHAPITRE V.

Tandis que toute la maison dormait profondément, Randal demeura longtemps à sa fenêtre ouverte, regardant les environs désolés de Rood-Hall. La lune, brillant dans un ciel d’automne, éclairait, à travers le sombre feuillage des sapins, les dépendances en ruines du vieux manoir ; et lorsque le jeune homme se coucha enfin, son sommeil fut fiévreux et agité.

Cependant, le lendemain de bonne heure, Randal était debout, et ses joues avaient des couleurs inaccoutumées que Juliette attribua à l’air de la campagne. Après le déjeuner, il se mit en route pour Hazeldean, monté sur un assez bon cheval, prêté par un voisin qui chassait quelquefois. Avant midi, il était en vue du jardin et de la terrasse du Casino. Il arrêta son cheval, et, à côté de la petite fontaine près de laquelle Léonard avait coutume de manger des radis et d’étudier ses livres, il aperçut Riccabocca assis à l’ombre du parapluie rouge. Près de l’Italien se tenait debout une jeune fille qu’un Grec eût prise jadis pour la naïade de la fontaine, car il y avait dans sa beauté tant de jeunesse et tant de poésie, quelque chose à la fois de si doux et de si imposant, qu’elle parlait à l’imagination autant qu’elle charmait les regards.

Randal mit pied à terre, attacha son cheval à la porte, et, prenant une allée couverte, il arriva près des exilés sans avoir été aperçu. Son ombre se projeta dans le clair miroir de la fontaine au moment même où Riccabocca venait de dire : « Ici, nous sommes si bien à l’abri de tout mal ! Les ondes de la fontaine ne sont jamais troublées comme celles de la rivière ! » et Violante avait répondu dans son doux langage maternel, en levant sur son père ses beaux yeux intelligents : « Mais la fontaine ne serait qu’un étang bourbeux, cher père, si le jet d’eau ne s’élançait vers les nuages. »

Randal s’avança en disant :

« Je crains, signor Riccabocca, d’être coupable d’un manque de cérémonie.

— Mettre de côté la cérémonie, c’est, de tous les compliments, le plus délicat, » reprit l’italien avec sa politesse accoutumée, lorsqu’il fut remis de la surprise que lui avait causée la subite apparition de Randal.

Violante répondit par une gracieuse inclination de tête au salut respectueux du jeune homme.

« Je me rendais à Hazeldean, dit Randal, et, vous voyant dans votre jardin, je n’ai pu résister à la tentation d’entrer.

Riccabocca. Vous venez de Londres. Voici des temps bien agités