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Ma femme, ma femme, cria-t-il d’un ton d’évidente consternation, voici Randal, qui a sans doute besoin de dîner ou de souper. » Mais pendant ce temps, Juliette s’était élancée vers son frère et l’entourait de ses bras ; le jeune homme l’attira un peu à l’écart, tout en lui rendant ses caresses, car Juliette était ce que Randal aimait le mieux au monde.

« Sais-tu que tu deviens tout à fait jolie, Juliette, lui dit-il en écartant doucement ses cheveux ; mais pourquoi ne pas soigner davantage ta tenue, comme je t’en ai priée tant de fois ?

— Je ne t’attendais pas, cher Randal ; tu viens toujours si subitement que tu nous prends en déshabillé.

— Mais tu ne devrais jamais te laisser prendre ainsi.

— Personne autre ne peut nous surprendre, car il n’y a jamais que toi qui viennes, et la jeune fille poussa un gros soupir.

— Patience, patience ; mon jour viendra et ce sera aussi le tien, ma sœur, » répliqua Randal, ému d’une pitié sincère en regardant cette jeune plante sauvage dont un peu de culture eût pu faire une si belle fleur.

Ici, mistress Leslie, dans un état d’extrême agitation, ayant traversé rapidement le parloir en laissant un morceau de sa robe accroché à la poignée de la petite table toujours cassée, se précipita dans la cour, effarouchant les poulets à droite et à gauche, et embrassa Randal à la hâte. « Ah ! comme tu ébranles mes nerfs, s’écria-t-elle. Tu as faim, j’en suis sûre, et nous n’avons ici que du mouton froid ! Jenny ! Jenny ! Juliette, as-tu vu Jenny ? Où est-elle donc ? Sortie avec l’homme de journée, j’en suis sûre.

— Je n’ai pas faim, ma mère, dit Randal ; je ne veux que du thé. » Juliette rattachant ses cheveux s’élança dans la maison pour préparer le thé et aussi pour mettre ordre à sa toilette. Elle aimait chèrement son frère de Londres, mais aussi elle en avait grand’peur.

Randal s’assit sur les palissades pourries.

« Prends garde de les briser, dit M. Leslie avec quelque inquiétude.

— Oh ! mon père, je suis très-léger, rien ne se brise jamais sous moi. Ma mère, dit le jeune homme, retenant mistress Leslie qui voulait courir à la recherche de Jenny, ma mère, vous ne devriez point permettre qu’Olivier fréquentât ces paysans. Il est temps de songer pour lui à une profession.

— Ne m’en parle pas ; il nous dévore ; il a un appétit effrayant ; mais quant à une profession, à quoi est-il bon ? Ce ne sera jamais un savant. »

Randal fit un signe de triste assentiment, car Olivier avait été envoyé à Cambridge ; Randal y avait payé sa pension et Olivier en était sorti sans prendre un seul grade.

« Il y a l’armée, dit le frère aîné, c’est la profession naturelle d’un gentilhomme. Comme Juliette est devenue jolie ! mais j’avais laissé de l’argent pour lui donner des maîtres et elle prononce le français comme une femme de chambre.