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fut jetée à Olivier et les jeunes gens se groupant auteur de lui le dérobèrent aux regards de Randal, mais celui-ci entendit bientôt des railleries et des rires dérisoires. Olivier avait reculé devant le danger des massifs bâtons qui s’agitaient autour de lui, et avait reçu quelques coups à travers les jambes, car on entendait ses gémissements à demi étouffés par des cris de :

« Va trouver ta maman ; c’est bien là Noll Leslie, brave comme un poulet ! »

Randal devint écarlate.

« Un Leslie servir de jouet à ces rustres ! » murmura-t-il en grinçant des dents.

Il sauta par-dessus la barrière et traversa le jeu, la tête droite et l’air hautain. Les joueurs poussèrent soudain un cri d’indignation. Randal leva son chapeau, tous le reconnurent et s’arrêtèrent, car lui du moins était généralement respecté. Olivier accourut vers son frère ; Randal lui prit fermement le bras, sans dire un mot aux autres, et l’attira vers la maison. Olivier jeta derrière lui un regard de regret, se frotta les tibias et hasarda un coup d’œil timide sur la physionomie sévère et mécontente de Randal.

« Vous n’êtes pas fâché contre moi parce que je jouais au hockey avec nos voisins ? dit-il enfin, d’un ton craintif, voyant que Randal ne rompait pas le silence.

— Non, répondit le frère aîné, mais un gentleman, tout en se mêlant à ses inférieurs, doit savoir conserver sa dignité. Il n’y a pas de mal à jouer avec eux, mais il importe de ne pas jouer de façon à devenir la risée de grossiers paysans. »

Olivier baissa la tête et ne répondit pas. Ils entrèrent dans la cour, et les cochons les regardèrent à travers les palissades du même air sérieux dont leurs grands-pères avaient bien des années auparavant regardé Frank Hazeldean.

M. Leslie père, coiffé d’un vieux chapeau de paille, donnait à manger aux poules devant la porte ; il s’acquittait de ce soin avec sa lenteur et sa négligence habituelles, laissant tomber les grains, pour ainsi dire un à un, de ses mains inertes.

La sœur de Randal, les cheveux pendants et en désordre, comme toujours, était assise sur une chaise de paille, lisant un roman sale et déchiré, et à travers la fenêtre de la salle on entendait la voix grondeuse de mistress Leslie. Quiconque eût vu le jeune héritier de cette ignoble pauvreté debout dans la cour, avec ses traits distingués et intelligents, et son extrême élégance d’aspect et de costume, se fût expliqué comment, laissé à l’égoïsme de sa science et de son ambition, avec un pareil entourage, et étranger aux douces leçons de la famille, il avait grandi dans cette secrète solitude de l’âme ; comment l’esprit avait été en lui si peu nourri par le cœur, et comment cette affection et ce respect qui s’épanchent d’ordinaire sur les hôtes bien-aimés du foyer, il les avait transmis aux tombeaux de ses pères.

« Ah ! Randal, te voilà mon garçon, dit M. Leslie d’une voix traînante, comment vas-tu ? Qui se serait attendu à te voir aujourd’hui ?