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haute opinion de votre jugement. Croyez-vous donc réellement que vous parviendriez à adoucir les choses ?

— Je le crois, mais je serais fâché de vous engager à courir le moindre risque, et si en y réfléchissant davantage vous pensez qu’il y a risque, je vous conseille fortement d’éviter toutes les occasions de voir la pauvre marquise. Ah ! vous regimbez ! mais je dis cela dans son intérêt comme dans le vôtre. D’abord, parce que vous devez comprendre, qu’à moins de penser sérieusement au mariage, vous ne ferez par vos attentions qu’ajouter aux rumeurs dont vous ressentez si vivement l’injustice ; et en second lieu, parce qu’il me semble qu’un homme n’a pas le droit de conquérir l’affection d’une femme uniquement pour satisfaire sa propre vanité.

— Ma vanité ! grand Dieu ! Pouvez-vous avoir de moi une pareille opinion ? Mais quant à l’affection de la marquise, continua Frank d’une voix tremblante, pensez-vous réellement, franchement, qu’il me serait possible de l’acquérir ?

— J’ai bien peur qu’elle ne vous soit déjà plus d’à moitié acquise, dit Randal souriant et secouant la tête ; mais Mme di Negra est trop fière pour jamais vous laisser voir l’effet que vous avez pu produire sur elle, surtout si, comme je le suppose, vous n’avez jamais fait allusion à l’espoir d’obtenir sa main.

— Je n’avais jamais jusqu’ici conçu un pareil espoir. Mon cher Randal, tous mes soucis sont évanouis : il me semble que je nage dans l’air ; j’ai bien envie de monter chez elle sur-le-champ.

— Un moment, un moment, dit Randal ; permettez-moi de vous donner un avis. Vous venez à l’instant même d’apprendre de moi que Mme di Negra aura, ce que vous ne soupçonniez pas, une fortune en rapport avec sa naissance. Un changement trop brusque dans vos manières pourrait lui faire croire que vous êtes influencé par cette communication.

— Ah ! s’écria Frank, blessé au vif, il me semble que je suis coupable, que je suis réellement influencé par cette nouvelle. Et quand j’y réfléchis, je le suis en effet, continua-t-il avec un accent qui devenait pathétique à force de naïveté ; mais j’espère qu’elle ne sera pas très-riche, car en ce cas je cesserais de la voir.

— Tranquillisez-vous, il s’agit seulement d’une dot de vingt ou trente mille livres ; juste de quoi payer toutes vos dettes et aplanir tous les obstacles qui s’opposent à votre union ; en compensation, vous pourrez plus tard assurer à votre femme un douaire sur la propriété du Casino. Et puisque nous sommes sur ce chapitre, je vais être encore plus explicite. Mme di Negra a, comme vous le dites, un noble cœur, et elle m’a dit elle-même qu’avant que son frère, à son arrivée, l’eût assurée de ce douaire, elle n’aurait jamais consenti à vous épouser, jamais voulu faire peser ses propres embarras sur l’homme qu’elle aime. Ah ! avec quel bonheur elle accueillera l’idée de vous rendre le cœur de votre père. Mais soyez prudent, je vous le répète. Et maintenant, Frank, qu’en dites-vous ? Ne serait-il pas à propos que je courusse à Hazeldean pour sonder un peu vos parents ?