Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/389

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Oui, d’abord.

— Cependant le squire a permis à sa cousine d’épouser un étranger.

— C’était bien différent. Il n’avait aucun droit sur Jemima ; une belle-fille, c’est tout autre chose, puis mon père est si anglais dans ses idées, tandis que Mme di Negra, au contraire, est si entièrement étrangère. Sa grâce même lui nuirait aux yeux du squire.

— Je crois que vous êtes injuste envers vos parents. S’il s’agissait d’une étrangère de basse extraction, d’une actrice ou d’une chanteuse par exemple, ils s’y opposeraient certainement, mais une femme de la naissance de Mme di Negra. »

Frank secoua la tête. « Je ne crois pas que mon père se souciât de sa naissance, fût-elle fille d’un roi. Il ne fait guère de différence entre les étrangers. Et puis, vous savez (ici Frank baissa la voix), vous savez qu’une des raisons qui me la rendent si chère serait pour les bonnes gens de là-bas une objection insurmontable.

— Je ne vous comprends pas, Frank.

— Je l’aime d’autant plus, dit le jeune Hazeldean en relevant la tête avec une noble fierté, je l’aime d’autant plus que le monde l’a plus sévèrement jugée, parce que je la crois pure et calomniée. Mais penseraient-ils de même, eux là-bas qui ne voient point avec les yeux d’un amant, eux qui ont conservé toutes les vieilles idées anglaises au sujet du manque de décorum et de la licence des manières sur le continent, et qui croiraient aisément les bruits les plus fâcheux. Oh, non ! j’aime, je ne saurais m’en empêcher, mais j’aime sans espoir.

— Il est possible que vous ayez raison, dit Randal comme frappé des arguments de son ami, cela est très-possible, et je crois certainement qu’au château on s’affligerait et s’irriterait d’abord en apprenant que vous avez épousé Mme di Negra. Cependant quand votre père saurait que vous l’avez fait non-seulement par passion, mais encore pour lui épargner un sacrifice pécuniaire, pour acquitter toutes vos dettes, pour…

— Que voulez-vous dire ? s’écria Frank avec impatience.

— J’ai des raisons de penser que Mme di Negra vous apporterait en mariage une dot aussi considérable que celle que votre père peut espérer pour vous d’une femme anglaise. Et quand ceci sera convenablement expliqué au squire, et qu’on lui aura prouvé le haut rang et la grande position de votre femme (car je crois que ce seraient là des circonstances atténuantes, malgré l’idée exagérée que vous vous faites de ses préjugés), puis quand il verra Mme di Negra elle-même et pourra juger de sa beauté et de ses rares qualités, sur l’honneur, Frank, je crois qu’il n’y aurait plus rien à craindre. Après tout, vous êtes son fils unique, il sera bien obligé de vous pardonner, et je sais avec quelle ardeur vos parents désirent tous deux de vous voir fixé, établi. »

Le visage de Frank s’illumina. « Il n’y a personne qui comprenne le squire comme vous, cela est certain, dit-il avec gaieté. Il a une