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d’intervenir. Vous voyez qu’avec les meilleures intentions, cela n’aboutit qu’à me compromettre.

— Si vous m’abandonnez, il ne me reste plus qu’à aller me jeter tête baissée dans la rivière, dit Frank d’un ton de désespoir ; mais il faut tôt ou tard que mon père connaisse ma situation. Les juifs me menacent déjà de l’aller trouver, et plus l’explication sera retardée, plus elle sera terrible.

— Je ne vois pas pourquoi votre père apprendrait jamais l’état actuel de vos affaires ; il me semble que vous pourriez payer les usuriers et vous débarrasser de ces billets en vous procurant de l’argent à des conditions comparativement faciles.

— Et comment ? s’écria vivement Frank.

— La propriété du Casino vous est substituée, et vous pourriez emprunter dessus une somme qui ne serait payable qu’alors que la propriété vous appartiendrait.

— C’est-à-dire à la mort de mon pauvre père ? Oh non, non ! Je ne puis supporter l’idée de ces calculs faits de sang-froid sur la mort d’un père. Je sais que cela n’est pas rare. J’en connais qui l’ont fait, mais ils n’avaient pas des parents comme les miens, et cependant, même de leur part cela me choquait et me révoltait. Prévoir la mort d’un père et spéculer sur cette prévision me semble une sorte de parricide ; c’est contre nature, Randal ; en outre ne vous rappelez-vous pas ce que disait mon père (et il pleurait en le disant) : « Ne spécule jamais sur ma mort. Frank ; je ne pourrais le supporter. » Oh Randal, ne me parlez pas de cela !

— Je respecte vos sentiments, bien que tous les billets que vous pourriez faire sur le Casino n’avançassent pas d’un seul jour la mort de M. Hazeldean. Renonçons donc à cette idée et songeons à quelque autre moyen. Tiens, j’y pense, Frank, vous êtes joli garçon, et vous avez de fort belles espérances, pourquoi n’épouseriez-vous pas quelque riche héritière ?

— Ah ! s’écria Frank en rougissant, vous savez, Randal, que je ne puis songer qu’à une seule femme au monde ; et je l’aime si passionnément, que, bien que je fusse aussi léger qu’un autre avant de la connaître, il me semble maintenant que le reste de son sexe a perdu tous ses charmes. Je passais par ici, ce moment même, uniquement pour regarder ses fenêtres.

— Vous voulez parler de Mme di Negra ? je la quitte à l’instant. Elle a deux ou trois ans de plus que vous, mais si cela vous est indifférent, pourquoi ne pas l’épouser ?

— L’épouser ! s’écria Frank stupéfait ; parlez-vous sérieusement ?

— Pourquoi pas ?

— Mais en supposant qu’elle, si brillante, si admirée, voulût m’accepter, elle est comme vous savez plus pauvre encore que moi. Elle me l’a dit franchement, c’est un si noble cœur ! Et puis mon père n’y consentirait jamais, ni ma mère non plus. Je le sais d’avance.

— Parce qu’elle est étrangère ?