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« Mes cartes, se dit Randal en résumant ses réflexions, sont devenues difficiles à jouer. D’un côté, si j’entraîne Frank à un mariage avec cette étrangère, le squire ne me le pardonnera jamais. D’autre part, si elle ne veut pas l’épouser sans ce douaire, que ce douaire dépende du mariage de son frère avec sa belle compatriote, que cette compatriote soit comme je le suppose Violante, et que Violante soit l’héritière dont je veux obtenir la main… Bah ! bah ! de tels scrupules chez une femme du caractère et dans la position de Mme di Negra doivent facilement se dissiper. La perte même de cette alliance pour son frère, celle de son propre douaire, les dettes, la pauvreté la forceront à prendre la seule voie de salut qui lui reste. Je resterai donc fidèle à mon ancien plan ; j’irai à Hazeldean pour voir s’il y a quelque réalité dans le nouveau, et alors je m’arrangerai pour concilier les deux. Ha ! ha ! la maison de Leslie se relèvera bientôt de ses ruines. »

Ici, il fut tiré de sa rêverie par quelqu’un qui lui frappait amicalement l’épaule en s’écriant : « Comment Randal, mais vous voilà aussi absorbé que lorsqu’à Eton vous quittiez le jeu pour marmotter des vers latins.

— Mon cher Frank, dit Randal, que vous êtes donc brusque ! justement je pensais à vous.

— Ah bah ! et affectueusement, j’en suis sûr ? dit Frank Hazeldean, dont la belle et honnête figure exprima la confiance de l’amitié ; et Dieu sait, ajouta-t-il d’une vois plus triste et avec une expression plus grave, Dieu sait que j’ai besoin de toute l’affection que vous pouvez me témoigner !

— Je pensais, dit Randal, que le dernier envoi de votre père, dont j’ai été assez heureux pour être le porteur, suffirait à payer vos dettes les plus pressantes. Je ne veux pas vous sermonner, mais réellement il faut que je vous le dise encore une fois : vous devriez être plus raisonnable.

Frank (d’un ton sérieux). J’ai fait de mon mieux pour me réformer, j’ai vendu mes chevaux et je n’ai touché ni un dé ni une carte depuis plus de six mois. Je n’ai pas même voulu mettre à la rafle pour le dernier Derby. »

Ceci était dit de l’air d’un homme qui doute de la possibilité d’obtenir croyance à une vertu et à une abstinence surnaturelles.

Randal. Est-ce bien possible ? Mais avec de telles conquêtes sur vous-même comment se fait-il que vous ne puissiez vivre avec une pension très-libérale ?

Frank (tristement). Lorsqu’un homme a une fois la tête sous l’eau, il a bien de la peine à remonter à la surface, voyez-vous ; j’attribue tous mes embarras au tort que j’ai eu d’abord de cacher une partie de mes dettes à mon père lorsqu’il est venu à Londres pour cela avec tant de bonté.

— Je regrette alors de vous avoir donné cet avis.

— Oh ! votre intention était bonne, je ne vous fais pas de reproches ; ç’a été ma faute à moi.