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— Mais qui ne communique ses secrets à âme qui vive, dit Randal avec une sorte d’amertume, qui, compacte et renfermé comme le fer, est aussi peu malléable pour moi que pour vous.

— Pardonnez-moi. Je vous connais si bien que je suis convaincue que vous posséderiez bien vite tout secret dont vous désireriez ardemment la connaissance. Bien plus, je crois que vous savez déjà le secret que je vous demande de partager avec moi.

— Qui peut vous donner cette idée ?

— Lorsqu’il y a quelque temps vous me demandâtes de vous décrire l’extérieur et les manières de l’exilé, ce que je fis en partie d’après les souvenirs de mon enfance, en partie d’après la description qui m’en avait été faite par d’autres, je n’ai pu m’empêcher de remarquer l’expression de votre physionomie et son changement rapide, en dépit, ajouta la marquise souriant et observant encore Randal, en dépit de votre empire habituel sur vous-même. Et quand je vous pressai d’avouer que vous aviez déjà vu quelqu’un qui répondait à cette description, vos dénégations ne me trompèrent pas. Puis, lorsque dernièrement, revenant de vous-même à ce sujet, vous m’avez questionnée sur mes motifs pour rechercher les traces de nos réfugiés et que je vous ai répondu d’une manière peu satisfaisante, je me suis aperçue…

— Ha ! ha ! interrompit Randal avec le rire bas et doux par lequel il enfreignait parfois la recommandation que fait lord Chesterfield d’éviter de montrer une gaieté si naturelle qu’elle devient impolie : ha ! ha ! vous avez le défaut de tous les observateurs trop minutieux et trop intelligents. Mais en supposant que j’aie vu des Italiens exilés (ce qui est assez probable), n’est-il pas bien naturel que je cherche à comparer leur extérieur à votre description et bien naturel encore que, si je soupçonne l’un d’eux d’être l’homme dont vous parlez, je désire savoir dans quel but vous cherchez à découvrir sa retraite ? Car il me conviendrait mal, ajouta Randal d’un air prude, de trahir, même en faveur d’une amie, un homme qui se cache pour échapper à la persécution ; et si je le faisais, car l’honneur lui-même n’est qu’une faible sauvegarde contre la fascination de vos charmes, une telle indiscrétion pourrait être fatale à ma carrière future.

— Comment cela ?

— Ne m’avez-vous pas dit qu’Egerton connaît ce secret et refuse de le révéler ? Est-il homme à me pardonner jamais une imprudence qui le compromettrait ? Je dirai plus, chère amie, lorsque Egerton a remarqué mon intimité croissante avec vous, il m’a dit avec son laconisme habituel : « Randal, je ne vous demande pas de rompre avec Mme di Negra, car la fréquentation d’une femme comme elle forme les manières et raffine l’intelligence, mais les femmes charmantes sont dangereuses, et Mme di Negra est une femme charmante. » La marquise rougit. Randal continua : « Votre belle amie (je cite toujours Egerton) cherche à découvrir la retraite d’un de ses compatriotes. Elle me soupçonne de connaître cette retraite, et s’efforcera peut-être de l’apprendre de vous. Le hasard peut vous procu-