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CHAPITRE II.

La marquise regagna son hôtel situé dans Curzon-street, puis se retira dans sa chambre pour rajuster sa parure et faire disparaître de son visage la trace des larmes qu’elle avait versées.

Une demi-heure plus tard, elle était assise dans son salon, calme et souriante ; quiconque l’eût vue alors, n’eût pu la supputer capable de tant d’émotions ni de tant de faiblesse : son extérieur majestueux, son altitude paisible, cette parfaite élégance qui résulte à la fois de la perfection de la toilette et de l’immobilité de convention des personnes de haut rang, ne laissaient plus voir en elle que la femme du monde et la grande dame.

On entendit frapper à la porte de l’hôtel, et au bout de quelques minutes, un visiteur entra de l’air aisé et familier d’une connaissance intime ; c’était un jeune homme, mais il n’avait rien de la fraîcheur de la jeunesse. Ses cheveux, fins comme ceux d’une femme, mais peu abondants, étaient ramenés sur son front qu’ils cachaient en partie. « Un homme, dit Apuleius, doit porter sur son front toute sa pensée. » Le jeune visiteur n’eût jamais commis cette imprudence. Il était pâle, et dans sa démarche et dans ses mouvements régnait une langueur indiquant des nerfs fatigués ou une santé délicate. Mais l’éclat de l’œil et le ton de voix révélaient un tempérament moral dont la vigueur et l’énergie devaient dominer la faiblesse du corps. Quant au reste, toute sa personne portait l’empreinte d’une grande distinction d’esprit et de manières. Lorsqu’on l’avait vu une fois, il était difficile de l’oublier, et le lecteur a sans doute déjà reconnu Randal Leslie. Son salut, comme je l’ai déjà dit, indiquait une familiarité affectueuse, cependant il avait été fait avec cette aisance et cette ouverture qui dénotent l’absence d’un sentiment plus tendre.

Après s’être assis près de la marquise, Randal commença par causer des bruits divers du monde fashionable, mais on eût pu remarquer que tandis qu’il faisait conter à son interlocutrice les anecdotes et les scandales du jour, il ne lui communiquait en échange ni anecdote ni scandale. Randal Leslie avait déjà appris l’art de ne pas se commettre, de ne pas s’exposer à ce qu’on citât jamais de lui une remarque maligne sur un personnage éminent ; et cependant il est toujours utile, pensait Randal, de connaître les faibles, les petits intérêts sociaux ou privés qui dirigent les grands. Des occasions peuvent surgir dans lesquelles cette science serait une puissance. C’est pourquoi, indépendamment d’un motif plus personnel que l’on connaîtra bientôt, Randal ne regardait pas comme perdu le temps qu’il consacrait à cultiver l’amitié de Mme di Negra.