Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/376

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ajouta le comte employant pour la première fois des mots italiens.

La marquise posa la tête sur l’épaule de son frère et ses larmes coulèrent doucement.

Évidemment cet homme possédait une grande influence sur elle, et quelque raison qu’elle eût de se plaindre de lui, elle l’aimait d’une vive et fraternelle affection. C’était une nature où brillaient parfois des éclairs de générosité, de courage, d’honneur et de passion, mais sans culture et mal dirigée, gâtée par les plus mauvais exemples, aisément entraînée au mal, ne le distinguant pas toujours du bien, et laissant les affections bonnes ou mauvaises dominer la voix de sa conscience ou aveugler sa raison. De telles femmes, une fois entraînées au mal, sont souvent plus dangereuses que celles qui sont complètement abandonnées au vice ; ce sont là les complices que les hommes comme le comte de Peschiera tiennent par-dessus tout à s’attacher.

« Ah, Giulio ! dit Béatrix, après un silence et en regardant son frère à travers ses larmes, vous savez bien qu’en me parlant ainsi, vous ferez de moi ce que vous voudrez.

— Chère Béatrix ! murmura tendrement le comte en baisant de nouveau sa sœur au front. Ainsi donc, reprit-il plus négligemment, la réconciliation est faite, et nos intérêts, comme nos cœurs, sont alliés de nouveau. Et maintenant, hélas ! pour en revenir aux affaires, vous dites que vous connaissez un homme instruit de l’endroit où se cache mon beau-père… futur ?

— Je le crois. Vous me rappelez que j’ai un rendez-vous avec lui aujourd’hui même ; voici l’heure qui approche, il faut que je vous laisse.

— Pour apprendre le secret ? Allez, allez bien vite. Je ne crains rien pour le succès si c’est par le cœur que vous tenez cet homme.

— Vous vous trompez ; je n’ai aucun droit sur son cœur. Mais il a un ami qui m’aime honorablement et dont il plaide la cause. Je crois avoir par là quelque empire sur lui. Sinon… Ah ! il est d’un caractère auquel je ne comprends rien, excepté qu’il est ambitieux. Et comment, nous autres étrangers, pourrions-nous l’influencer par là ?

— Est-il pauvre, ou bien dissipateur ?

— Il n’est ni dissipateur ni absolument pauvre, mais il est dépendant.

— Alors nous le tenons, dit le comte avec calme. Si sa coopération nous est nécessaire, nous la payerons ce qu’il voudra. Sur mon âme, je n’ai pas encore vu l’argent échouer auprès d’un homme à la fois ambitieux et dépendant. »

En disant cela, le comte ouvrit la porte et reconduisit courtoisement sa sœur jusqu’à sa voiture.