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LIVRE VI.


CHAPITRE I.

Un nouveau règne a commencé. Des élections générales ont eu lieu. Les hustings ont fait voir combien l’administration est impopulaire. Audley Egerton, jusqu’ici nommé par des majorités imposantes, n’a échappé à l’humiliation d’une défaite que grâce à une majorité de cinq voix. Les dépenses de son élection ont, dit-on, été fabuleuses.

« Mais qui peut résister à une fortune telle que celle d’Egerton, très-probablement soutenue par le Trésor public ? » dit le candidat évincé.

On touche à la fin d’octobre. Londres est déjà plein ; le Parlement doit se réunir avant la fin de la quinzaine. Dans l’un des principaux appartements de cet hôtel, où les étrangers peuvent apprendre en même temps ce que c’est que le comfort anglais et le prix qu’il coûte, deux personnes, assises à côté l’une de l’autre, se livraient à une conversation intime. L’une d’elles était une femme qu’à son teint blanc et pâle, à ses cheveux d’un noir de jais, à ses yeux doués d’une puissance d’expression qui est bien rarement le partage des beautés du Nord, nous reconnaissons pour Béatrix, marquise di Negra. Quelque incontestablement belle que fût la dame italienne, l’homme qui était auprès d’elle, bien que déjà d’un âge mûr, était plus remarquable encore par ses avantages personnels. Il y avait entre eux une ressemblance de famille très-prononcée, mais en même temps leur air, leurs manières, tout ce qui imprime sur la physionomie l’idiosyncrasie du caractère, formait chez eux un contraste frappant. Le visage de Béatrix, lorsqu’on l’examinait avec soin, avait quelque chose de grave, de profond, de passionné ; son sourire pouvait parfois être faux, il était rarement ironique, jamais cynique ; ses gestes, bien que toujours gracieux, étaient vifs et fréquents ; on reconnaissait en elle une fille du Midi. Son compagnon, au contraire, conservait sur son visage doux et blanc, que l’âge avait à peine marqué d’une ride, quelque chose qui au premier abord eût pu passer pour la légèreté et l’étourderie d’un caractère jeune et gai ; mais son sourire, bien que d’une exquise courtoisie, avait parfois l’expression d’un sarcasme. Ses manières étaient calmes et il se montrait aussi sobre de gestes qu’un Anglais.