Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/366

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

encore qu’une enfant ; ce que j’éprouve ne peut être de l’amour !… Mais que me reste-t-il à aimer maintenant ? »

Et en faisant cette réflexion, il s’arrêta sur le pont où si souvent il s’était promené avec Hélène, sur ce pont où il avait trouvé le protecteur qui avait donné à Hélène un asile, et à lui une carrière. Et la vie lui apparut bien longue, et la renommée ne lui sembla plus qu’un vain fantôme. Courage, cependant, Léonard, courage ! Ce sont des chagrins qui t’en apprennent plus long sur le cœur humain, que tous les préceptes de la philosophie et de la critique.

Le lendemain Hélène avait quitté les côtes de l’Angleterre avec son bizarre et mélancolique protecteur.

Plusieurs années s’écouleront avant la reprise de notre roman. La vie sous toutes les formes que nous avons vues continue sa marche. Le squire s’occupe toujours de ses champs et de sa chasse. Le curé prêche, reprend, console. Riccabocca lit son Machiavel, soupire et sourit en philosophant sur les hommes et sur les États. Les yeux noirs de Violante deviennent de plus en plus pénétrants, et leur éclat de plus en plus profond et intellectuel. La mélancolie donne à sa beauté un charme plus séduisant encore. M. Richard Avenel a son hôtel à Londres et l’honorable mistress Avenel sa loge à l’Opéra : les deux époux soutiennent une lutte âpre et terrible pour entrer dans le monde fashionable ; le parvenu, qui méprisait si fort l’arstocratie, travaille des pieds et des mains à devenir aristocrate. Audley Egerton va du ministère au Parlement, il travaille sans relâche, il discute à la tribune, et contribue à diriger cet empire sur lequel le soleil ne se couche jamais. Pauvre soleil ! qu’il doit être fatigué !… pas si fatigué pourtant que le ministre. Randal Leslie a obtenu une excellente place dans les bureaux du ministère ; il prévoit déjà l’époque où il quittera cette place pour entrer au Parlement et convertir dans cette vaste arène sa science en pouvoir. Il est toujours dans les mêmes termes avec Audley Egerton ; mais il a noué des relations d’intimité avec le squire ; il est allé deux fois au château d’Hazeldean ; il a examiné la maison, le plan de la propriété, et a failli tomber une seconde fois dans le saut de loup ; le squire continue à croire que Randal Leslie seul peut empêcher Frank de tourner à mal, et a proféré quelques mots sévères devant son Henriette, au sujet des dépenses et des folies prolongées de Frank ; quant à Frank, il est toujours lancé dans les plaisirs ; il est malheureux et horriblement endetté. Mme di Negra a quitté Londres pour Paris ; puis elle a fait une excursion en Suisse, et est revenue à Londres ; elle s’est liée avec Randal Leslie, qui lui a présenté Frank ; et celui-ci la regarde comme la femme la plus aimable du monde, odieusement calomniée par certaines mauvaises langues. Le frère de Mme di Negra est enfin attendu en Angleterre ; et sur sa réputation de beauté et de richesse, on s’attend à l’y voir faire sensation. Et Léonard, et Harley, et Hélène ? — Patience, ils reparaîtront tous.


FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE.