Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/362

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Votre ami intime, monsieur Frank ? Vous avez de jolis amis, je vous en fais mon compliment ; et le squire boutonna, d’un air déterminé, la poche dans laquelle il avait enfoncé son portefeuille.

— Mais, moi aussi, je suis son ami, dit affectueusement Randal, et je le sermonne d’importance, je vous en réponds. »

Puis, comme désirant vivement changer de conversation, il adressa au squire de nombreuses questions au sujet des récoltes et des expériences faites sur les meilleurs engrais. Il parlait sérieusement et avec intérêt, cependant avec la déférence d’une personne qui écoute un habile praticien. Randal avait passé toute l’après-midi à étudier à fond la question dans des journaux d’agriculture et des rapports parlementaires ; et, comme tous les gens qui ont une grande habitude de lire, il avait réellement appris en quelques heures plus de choses que ceux auxquels l’étude n’est pas familière n’en eussent appris en une année. Le squire fut surpris et charmé des connaissances agricoles de son jeune parent.

« À la bonne heure, dit-il en lançant un regard mécontent au pauvre Frank ; vous avez du vrai sang d’Hazeldean dans les veines, et vous sauriez distinguer une fève d’un navet.

— Monsieur, dit Randal d’un ton modeste, je me destine à la vie politique, et de quoi est capable un homme politique qui n’entend rien à l’agriculture de son pays ?

— Certainement ; de quoi est-il capable ? Posez cette question à mon beau-frère en lui présentant mes compliments. Quel fichu discours il a prononcé l’autre soir au sujet de l’impôt sur les orges !

M. Egerton a tant de choses à penser, que nous devons excuser son ignorance sur un seul sujet, quelque important qu’il soit. D’ailleurs, avec son solide bon sens, il acquerra tôt ou tard les connaissances nécessaires en agriculture, car il aime passionnément le pouvoir, et la science c’est le pouvoir !

— C’est très-vrai ; c’est bien dit, fit le pauvre squire sans la moindre méfiance, tandis que Randal regardait la bonne figure ouverte de M. Hazeldean, puis jetait ensuite un coup d’œil sur Frank qui semblait triste et penaud.

— Oui, répéta Randal, la science c’est le pouvoir ; » et il secoua la tête d’un air grave en passant la bouteille à son hôte.

Cependant, quand le squire, qui avait l’intention de s’en retourner à Hazeldean le lendemain matin, prit congé de Frank, son cœur de père s’émut, et cela d’autant plus que Frank avait l’air abattu. Il n’entrait pas dans la politique de Randal de brouiller trop promptement le père et le fils.

« Parlez au pauvre Frank… Dites-lui quelques mots affectueux maintenant, monsieur ; oui… » dit-il tout bas en voyant les yeux humides du squire et en se retirant du côté de la fenêtre.

Le squire, heureux d’obéir, tendit la main à son fils. « Mon cher enfant, dit-il, allons, ne le désole pas… Bah !… ce n’était qu’une misère après tout. N’y pensons plus. »