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une certaine froideur les sentiments de généreuse tendresse qui l’avaient fait venir à Londres.

D’un autre côté, Frank, embarrassé de son mensonge et préoccupé de l’idée de ne pas avoir l’air de prendre la chose trop au sérieux, parut au squire un fils ingrat et endurci.

Après le dîner, le squire commença à chantonner et Frank à rougir. Tous deux se sentaient gênés par la présence d’un tiers, jusqu’au moment où, avec un talent et une adresse dignes d’un meilleur usage, Randal rompit la glace et parvint si bien à dissiper la contrainte qu’il avait d’abord causée, que le père et le fils se trouvèrent à la fin fort aises de voir les choses clairement et brièvement expliquées, grâce au tact et à l’habileté de leur jeune parent.

Les dettes de Frank n’étaient pas considérables, et quand, les yeux baissés, il articula la moitié de la somme, le squire, agréablement surpris, allait s’exprimer avec une cordialité qui lui eût rouvert l’excellent cœur de son fils ; mais un regard de Randal arrêta son élan, et le squire pensa qu’il convenait de tenir sa promesse, c’est-à-dire d’affecter un mécontentement qu’il n’éprouvait pas. Il proféra la malheureuse menace : que dépasser son budget était bon pour une fois, mais que si à l’avenir Frank ne se montrait pas plus sage, s’il se laissait mener par ces chevaliers d’industrie et ces freluquets de Londres, il l’obligerait de quitter l’armée et de revenir à Hazeldean, où il s’occuperait d’agriculture.

Frank eut l’imprudence de répondre :

« Oh ! mon père, je n’ai pas du tout de goût pour les travaux de la campagne. Après avoir vécu à Londres, la campagne, à mon âge, serait quelque chose d’affreusement triste.

— Ah ! ah ! dit le squire faisant la grimace, et remettant dans son portefeuille quelques billets de banque additionnels que ses doigts en avaient à moitié tirés. Ah ! la campagne serait affreusement triste ? À la campagne l’argent ne s’emploie pas à des folies ni à satisfaire ses vices, mais à payer d’honnêtes travailleurs et à accroître sa fortune.

— Mon cher père….

— Taisez-vous, drôle ! Oh ! je vois que si vous étiez à ma place, vous abattriez les chênes, vous hypothéqueriez la propriété ; que dis-je ? vous la perdriez peut-être sur un coup de dé. Ah ! ah ! monsieur, c’est bien, c’est très-bien ; la campagne est quelque chose d’affreusement triste, n’est-ce pas ? Eh bien ! restez en ville !

— Mon cher monsieur Hazeldean, dit doucement Randal comme pour tourner en plaisanterie une conversation qui menaçait de devenir trop sérieuse, il ne faut pas interpréter aussi à la lettre un mot dit au hasard. Vous finiriez par faire passer Frank pour un aussi mauvais sujet que lord A., qui écrivait à son intendant d’abattre encore du bois, sur quoi l’intendant ayant répondu qu’il ne restait plus sur toute la propriété que trois poteaux, lord A. lui répondit : « En tout cas, ils ont fini de croître ; abattez-les. » Vous devez connaître lord A., monsieur : c’est un garçon fort spirituel, un ami intime de Frank.