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Vous n’avez pas besoin d’ami, puisqu’un grand seigneur comme mon beau-frère vous a pris sous sa protection ; mais si jamais vous en aviez besoin, Hazeldean n’est pas éloigné de Roodhall. Je n’ai pu parvenir à m’entendre avec votre père ; je le regrette, car je crois que j’aurais pu lui donner un ou deux bons conseils pour l’amélioration de sa propriété. Par exemple, ces affreux terrains vagues… le mélèze et le sapin y viendraient parfaitement ; il y a aussi des terres basses qui demanderaient à être drainées.

Randal. Mon pauvre père mène une vie si retirée, qu’il ne faut pas vous en étonner : les arbres tombés demeurent immobiles ; il en est de même des familles déchues.

Le squire. Les familles tombées peuvent se relever ; ce que ne peuvent faire les arbres.

Randal. Ah ! monsieur, souvent l’énergie de plusieurs générations suffit à peine à réparer les prodigalités et les extravagances d’un seul homme.

Le squire (le visage assombri). C’est très-vrai, et Frank est un dissipateur ; il en prend fort à son aise avec moi… en ne venant pas ; il est près de trois heures. À propos, je suppose que c’est lui qui vous a dit où j’étais, car sans cela vous n’auriez pu me trouver.

Randal (avec hésitation). Oui, monsieur, et à vous parler vrai, je ne suis pas surpris que Frank n’ait pas encore paru.

Le squire. Eh !

Randal. Nous sommes devenus amis intimes.

Le squire. Oui, c’est ce qu’il m’a écrit et j’en suis bien aise. Notre membre du Parlement, sir John, me dit que vous êtes un garçon très-intelligent et très-rangé, et Frank avoue qu’à défaut de vos talents il voudrait avoir votre sagesse. Il a un bon cœur, Frank, ajouta le père s’attendrissant. Mais pourquoi diable dites-vous que vous n’êtes pas surpris qu’il ne soit pas venu embrasser son père ?

— Mon cher monsieur, dit Randal, vous avez écrit à Frank que vous aviez appris sa conduite par sir John et par d’autres, et que vous n’étiez pas satisfait de la manière dont il répondait à vos lettres.

— Eh bien !

— Et puis vous arrivez soudain à la ville.

— Eh bien !

— Eh bien ! Frank rougirait, s’il venait à vous rencontrer ; car, comme vous dites, il a été extravagant, et a dépassé son budget : connaissant tout le respect que j’ai pour vous, et la grande affection que j’ai pour lui, il m’a demandé de vous préparer à recevoir sa confession et à lui pardonner. Je sais que je prends là une grande liberté. Je n’ai pas le droit de m’interposer entre un père et son fils ; mais, je vous en prie, songez que mes intentions sont excellentes.

— Hum ! fit le squire, en se remettant lentement et en laissant voir son chagrin. Je savais déjà que Frank avait dépensé plus qu’il ne devait ; mais il me semble qu’il n’aurait pas dû avoir recours à une tierce personne pour obtenir son pardon. Ne prenez pas en