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prospère et son mariage est publié dans ce journal même, il épouse une honorable, une mistress Mac Catchley. Enfin, dans ce pays, qui voudrait s’enorgueillir de sa naissance ?

— Vous n’avez pas toujours parlé ainsi, Egerton, répliqua Harley d’un ton de reproche.

— Je dis ceci pour une mistress M’Catchley et non pour le descendant des L’Estrange. Mais ne parlons plus de ces… de ces Avenel.

— Si, parlons-en au contraire. Je vous dis que j’ai rencontré un de leurs parents… un neveu de… de….

— De Richard Avenel ? interrompit Egerton. » Puis il ajouta de ce ton de voix lent, ferme et doctoral qu’il était habitué à prendre en public : « Richard Avenel ! le commerçant ! Je l’ai vu une fois ! C’est un parvenu sans gêne et insupportable.

— Le neveu n’a pas ces défauts-là. C’est un jeune homme plein d’espérance, de modestie, peut-être de fierté. Et sa physionomie ! Oh ! Egerton, il a les mêmes yeux qu’elle ! »

Egerton ne répondit pas. Harley reprit :

« J’avais songé à vous le confier. Je savais que vous vous en occuperiez volontiers.

— Oui. Amenez-le-moi, s’écria Egerton avec vivacité. Je suis disposé à tout faire pour vous prouver quel cas je fais de vos moindres désirs. »

Harley pressa chaleureusement la main de son ami.

« Je vous remercie de tout mon cœur. Je reconnais là l’Audley de mon enfance. Mais le jeune homme a pris une autre résolution, et je ne l’en blâme pas ; je dirai même que je me réjouis de le voir choisir une carrière dans laquelle, s’il y rencontre des difficultés, il échappera du moins à la dépendance.

— Et cette carrière, c’est…

— Celle des lettres !

— Les lettres ! la littérature ! s’écria l’homme d’État. Mais c’est la mendicité ! Allons donc, Harley ; c’est là un de vos absurdes romans.

— Ce ne sera pas pour lui la mendicité et ce n’est pas mon roman : c’est celui du jeune homme. Mais je m’intéresse à lui et à dater de ce jour je m’en charge. Il est du même sang qu’elle, et je vous ai dit qu’il a les mêmes yeux.

— Mais vous allez partir ; faites-moi savoir où il est, je veillerai sur lui.

— Et vous le détournerez d’une saine ambition pour lui en inspirer une mauvaise. Non… vous ne saurez rien de lui avant qu’il ne se soit fait connaître. Je pense que ce jour-là viendra. »

Audley réfléchit un moment, puis il dit : « Peut-être avez-vous raison. Après tout, comme vous dites, l’indépendance est un grand bien, et mon ambition ne m’a rendu ni meilleur ni plus heureux.

— Et cependant, mon pauvre Audley, vous voudriez me voir ambitieux.