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une chance de posséder un jour les terres d’Hazeldean. Il lui parut clair, que de quelque manière que les choses dussent tourner, il ne pourrait que gagner à brouiller le squire avec son héritier naturel. Aussi poussa-t-il Frank, avec le tact le plus consommé, aux excès les plus propres à irriter son père, feignant toujours de le blâmer et se gardant bien de prendre part aux folies vers lesquelles il poussait son imprudent ami. Ce fut par l’intermédiaire d’autres personnes qu’il atteignit son but, et en faisant faire à Frank les connaissances les plus dangereuses.

Le ministre et son protégé étaient assis à déjeuner, le premier lisant le journal, le second parcourant sa correspondance ; car Randal était devenu un personnage et recevait beaucoup de lettres. Egerton poussa soudain une exclamation et laissa tomber le journal. Randal leva les yeux ; le ministre était tombé dans une de ses profondes rêveries.

Après un assez long silence, voyant qu’Egerton ne reprenait pas le journal, Randal dit :

« Monsieur, je viens de recevoir une lettre de Frank Hazeldean, qui désire beaucoup me voir. Son père vient d’arriver à Londres inopinément.

— Qu’est-ce qui l’amène ici ? demanda Egerton d’un ton distrait.

— Je crois deviner qu’il a eu vent de quelque folie du pauvre Frank, et Frank m’a l’air un peu de redouter l’entrevue.

— Oui, c’est une très-grande faute que la dissipation chez les jeunes gens ! C’est une faute qui détruit l’indépendance, qui ruine ou enchaîne l’avenir. C’est une grande faute ! une très-grande faute ! Et qu’a besoin la jeunesse d’être dissipatrice ? N’a-t-elle pas tout en elle ? La jeunesse est la jeunesse ; que lui faut-il de plus ? »

Egerton se leva en disant ces mots, alla vers son bureau et ouvrit, à son tour, sa correspondance. Randal prit le journal et essaya, mais en vain, d’y trouver ce qui avait pu provoquer l’exclamation du ministre et la rêverie qui l’avait suivie.

Soudain Egerton se retourna avec vivacité.

« Si vous avez fini le Times, dit-il, ayez la bonté de le mettre ici. »

Randal venait d’obéir quand on frappa à la porte, et lord L’Estrange entra d’un pas plus vif et d’un air plus gai que de coutume.

La main d’Audley tomba machinalement sur le journal, et se posa sur l’article naissance, décès et mariages. Randal en fit la remarque ; puis, saluant lord L’Estrange, il quitta la chambre.

« Audley, dit L’Estrange, j’ai eu une aventure depuis que je ne vous ai vu… une aventure qui m’a rouvert le passé et qui aura peut-être de l’influence sur mon avenir.

— Comment cela ?

— D’abord j’ai rencontré un parent des… des Avenel.

— Vraiment ! Qui ? Richard Avenel ?

— Richard ! Richard ! Qui est-ce ? Oh ! je m’en souviens ! Celui qui est parti pour l’Amérique ; mais je n’étais alors qu’un enfant.

— Ce Richard Avenel est maintenant un commerçant riche et